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ROBERTY.l’évolution de la philosophie

Le principe de la complexité croissante et de la généralité décroissante de nos conceptions (Comte dit des phénomènes, mais il est évident qu’il ne peut s’agir ici que de nos représentations des choses, dans le sens le plus strict du mot) est érigé par Comte en loi suprême de toute hiérarchie naturelle (qui est ici purement logique). Par conséquent, il l’applique à la série des sciences, à la distribution intérieure de chaque partie de la philosophie inorganique, à la coordination taxinomique de la série animale, enfin à la statique des sociétés et à l’ordre des évolutions sociales élémentaires.

C’est cet ordre seul qui nous importe ici. Les éléments variés et incohérents, en apparence, de toute civilisation doivent, selon Comte, être rangés suivant une série linéaire, comprenant depuis les moindres opérations matérielles jusqu’aux plus sublimes spéculations esthétiques, scientifiques ou philosophiques. Sa série offre donc, comme la nôtre, quatre termes : industrie, art, science et philosophie ; et ces termes, sauf les deux derniers qui sont intervertis, s’enchaînent dans le même ordre. Mais ici intervient le double principe de la complexité croissante et de la généralité décroissante qui, pour Comte, est la grande loi non seulement de toute hiérarchie ou classification, mais encore de toute évolution et, par conséquent, de toute causalité.

Par suite, la série de Comte se dédouble elle-même : dans le sens ascendant, de l’industrie à la philosophie, il y a accroissement continu de généralité et d’abstraction dans le point de vue correspondant à chaque genre de travail intellectuel ; et dans le sens descendant, de la philosophie à l’industrie, il y a décroissance de généralité et accroissement constant de complexité dans les travaux intellectuels correspondants aux termes successifs de la série.

En outre, toujours d’après Comte, il y aurait encore lieu d’appliquer à cette série une distinction empruntée à la sociologie, pratique ou théorique, il est malaisé de le dire, Comte confondant trop souvent la politique et la théorie sociale pure. C’est la distinction entre la vie active et la vie spéculative, entre l’ordre temporel et l’ordre spirituel. Des quatre termes de la série, l’industrie appartient seule à l’ordre temporel qui exprime l’action de l’homme sur la nature. Les trois autres sont de l’ordre spirituel. Mais ici Comte propose une réduction caractéristique et fait un aveu intéressant à recueillir : à l’en croire, en effet, il suffit de décomposer l’ordre spirituel en deux autres, suivant que la spéculation prend le caractère esthétique ou le caractère scientifique. La philosophie est ainsi totalement fondue dans la science, et on arrive à partager, dans le sens de la série ascendante, la hiérarchie positive en trois ordres