Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
ROBERTY.l’évolution de la philosophie

Cette rectification est des plus importantes. Elle soulève la question des rapports qui ont existé entre les deux espèces fondamentales de la connaissance, la science et la philosophie. En admettant même que les conceptions générales aient agi directement et puissamment sur l’ensemble de l’activité sociale à chaque époque, ces conceptions n’ont-elles pas été déterminées, à leur tour, par un certain état des conceptions spéciales ou scientifiques, et ces dernières ne sont-elles pas régies par une autre loi que celle qui gouverne l’évolution des idées philosophiques ? Et en ce cas, n’est-ce pas l’évolution de la science qui, en dernière analyse, influence les esprits et domine l’activité sociale de l’humanité ?

L’erreur de Comte a consisté à prendre la réaction des phases philosophiques sur les phases de l’évolution scientifique, pour l’action originaire ou initiale. La philosophie n’a été qu’un des trois termes intermédiaires (les deux autres sont l’art et l’industrie) à l’aide desquels l’évolution des idées scientifiques a agi sur l’ensemble de l’évolution sociale, cela sans préjudice de l’action directe des sciences, toujours vivace et puissante. Notre loi de corrélation entre la science et la philosophie remet les choses à leur véritable place et permet de réduire le schème général de l’évolution intellectuelle et sociale de l’humanité aux grandes lignes suivantes.

L’évolution intellectuelle est la conséquence directe du fait social. L’esprit humain ne peut se développer en dehors de l’ensemble des liens ou des conditions fondamentales qui constituent ce qu’on appelle une société. Mais l’évolution de celle-ci, le développement et la transformation lente des phénomènes qui la composent, est, à son tour, l’œuvre et le produit de l’évolution intellectuelle. C’est l’évolution intellectuelle qui domine et dirige l’évolution sociale, qui l’active, la ralentit, lui trace sa route et détermine ses principaux courants. On peut donc dire, en résumé, que la société tire de son propre sein ou produit elle-même les causes les plus persistantes des changements et des transformations qu’elle subit[1].

Mais comment agit cet ensemble de faits dominants et de conditions déterminantes qu’on désigne par le terme générique d’évolution intellectuelle ? Et d’abord, comment se décompose cette somme ?

On peut, croyons-nous, y séparer nettement quatre catégories principales de faits formant la trame de quatre évolutions intellectuelles distinctes : l’évolution des conceptions qui ont pour objet l’analyse des phénomènes de toutes sortes suivie de leur synthèse partielle ou réunion en groupes plus ou moins vastes ; l’évolution

  1. Comp. Comte, Cours, résumé par Rig, II, p. 158.