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contraire ; car la théologie elle-même n’a été qu’un agnosticisme inconscient, qu’un positivisme embryonnaire, basé, lui aussi, sur une méconnaissance constante de la différence spécifique qui sépare l’esprit philosophique de l’esprit scientifique. Toutes ces conceptions fausses, toutes ces ébauches informes sont destinées à disparaître un jour, alors que l’ancienne philosophie aura parcouru le cycle entier de son évolution.

Quoi qu’il en soit, partisans et adversaires sont également d’accord pour reconnaître que l’œuvre de Comte a exercé une influence profonde et durable sur la pensée philosophique de notre époque. Mais parmi les conceptions que le fondateur du positivisme a le plus contribué à répandre, ses idées sur la marche générale de l’évolution philosophique occupent certainement la première place. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner si la loi des trois états représente actuellement, pour ainsi dire, la vraie moyenne des opinions courantes à ce sujet. Par conséquent encore, en soumettant à notre critique, dans les pages suivantes, cette partie de la doctrine positiviste, nous croyons faire, du moins sur ce point spécial, le procès à la philosophie du siècle tout entière.

« L’organisme social reposant sur certaines opinions, dit Comte, la variation de ces opinions doit exercer une influence profonde sur les modifications successives de la vie de l’humanité. L’histoire de la société est dominée par l’histoire de l’esprit humain », qui devient le vrai guide de la sociologie. Mais dans l’évolution intellectuelle de l’humanité, la prépondérance, selon Comte, appartient toujours ce aux conceptions les plus générales et les plus abstraites ». C’est donc l’histoire de la philosophie qui doit « présider à la coordination de l’analyse historique » dont le premier et le plus important résultat est la loi des trois états et son complément naturel, la théorie de la hiérarchie scientifique[1].

Cette vue de Comte explique comment il a été amené à faire de la loi de l’évolution de la philosophie la loi la plus générale de l’évolution intellectuelle de l’humanité et, par suite, la loi suprême de tous les phénomènes sociaux. Le sophisme auquel Comte a succombé est des plus manifestes ; car ce n’est évidemment pas l’évolution de la philosophie, qui n’est qu’une espèce dans le vaste genre de la connaissance, mais bien l’évolution du genre entier, comprenant la connaissance scientifique aussi bien que la connaissance philosophique, qui a constitué l’histoire de l’esprit humain et dirigé les destinées sociales.

  1. Cours, résumé par Rig, II, p. 151 et 167.