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ROBERTY.l’évolution de la philosophie

que l’intégration finale de toute théologie. Rien de plus naturel, d’ailleurs, que cette marche graduelle du diffus au différencié, et de celui-ci à l’unifié ou intégré. C’est une évolution du même au même, une simple transformation dans le sens scientifique du mot, qui est aussi son vrai sens étymologique. Nous sommes loin de l’étrange filiation positiviste, et la doctrine de l’évolution devrait être la dernière à nous contredire sur ce point.

Tout cela simplifie beaucoup le problème, si souvent posé, de l’avenir probable de la philosophie.

Il faut avant tout se pénétrer de la vérité, que nous vivons encore en pleine phase Ihéologique ; il faut ensuite se bien convaincre de cette autre vérité, qu’une conception vraiment scientifique du monde ne pouvant résulter directement que de l’ensemble du savoir, et celui-ci offrant encore, à son bout supérieur, des vides considérables, l’espérance serait vaine de fonder immédiatement la philosophie scientifique. Une somme énorme de travail encore non accompli ni même, peut-être, commencé, nous sépare de ce but auquel l’humanité aspire depuis des siècles.

Néanmoins, nous pouvons ne pas être conscients de cette situation, ou nous pouvons en avoir une connaissance aussi ferme que claire. L’agnosticisme moderne représente précisément l’état d’inconscience auquel nous voudrions voir succéder l’état opposé.

Cherchons la vérité qui dissipera ces nuages, qui déchirera ce voile, qui portera le coup de grâce au dogme de l’ignorance nécessaire, fatale et absolue qui est le fond même de l’agnosticisme. Cette vérité point déjà à l’horizon. Elle appartient à un ordre encore mal étudié de phénomènes, à une science dont l’enfantement se produit péniblement sous nos yeux.

Fondé sur la croyance à une ignorance irrémédiable, l’agnosticisme a droit à toutes les compensations que peuvent donner à notre esprit et à notre cœur les illusions de la foi ou celles de l’imagination philosophique. Il le sait, il le proclame bien haut, et il ne se prive ni des unes ni des autres ; il s’accommode très bien d’un théisme vague et nuageux, et il se lance hardiment dans les suppositions embrassant le cours général des choses et l’ensemble des phénomènes. La philosophie la plus positive de nos jours n’est qu’une longue suite d’hypothèses. Ce ne serait pourtant là qu’un demi-mal, si la philosophie pouvait conserver l’espoir de les vérifier peu à peu. Malheureusement pour elle, elle juge elle-même que ses hypothèses les plus fondamentales doivent éternellement rester à l’état de suppositions pures : s’il en était autrement, l’ignorance