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anciennes sans pouvoir les déraciner, elle n’est jamais parvenue, sauf dans une infime minorité d’esprits, à la détrôner. Ce trait est important, car il tend à prouver que l’évolution de la théologie à la métaphysique a été beaucoup moins une succession qu’une multiplication de points de vue erronés ou illusoires. Quant aux causes qui ont produit cette évolution, il faut les chercher dans la différenciation progressive de nos connaissances spéciales, différenciation qui n’a été elle-même, en définitive, qu’une multiplication de points de vue spéciaux. Rien de plus naturel, par suite, qu’elle ait eu pour conséquence une multiplication des points de vue généraux ou même universels. Mais si les doctrines spéciales, malgré les nombreuses lacunes des sciences correspondantes, contenaient des vérités incontestables, les doctrines générales, en raison même de ces lacunes, ne pouvaient être que prématurées et, dans ce sens, fausses.

La différenciation scientifique a donc eu pour conséquence immédiate une multiplication des erreurs générales ou philosophiques. C’est là un fait de l’évolution intellectuelle de l’humanité qu’on peut déplorer, comme tant d’autres faits naturels et historiques, mais qu’on ne doit pas craindre de reconnaître.

Le savoir vague et chaotique qui avait donné naissance aux premières généralisations anthropomorphes et animistes, s’étant différencié peu à peu et ayant produit trois groupes distincts de notions, — les idées physiques, les idées biologiques et les idées morales et politiques, — les généralisations théologiques subirent naturellement le contre-coup de cette mémorable séparation, et trois types de conceptions du monde apparurent comme autant de nécessités mentales inéluctables. La théologie se différencia à l’exemple de la science, et la métaphysique fut créée. Celle-ci n’a donc jamais été que de la théologie différenciée, de la théologie emboîtant inconsciemment le pas derrière le savoir qu’elle se donnait pouf mission illusoire de devancer et de gouverner.

La philosophie de notre siècle, enfin, n’est encore que cette même métaphysique, c’est-à-dire cette même théologie, épurée, affinée, accommodée aux besoins modernes. La religion des temps nouveaux, l’agnosticisme, offre le témoignage le plus éclatant qu’on puisse fournir, de l’homogénéité et de la continuité de l’évolution philosophique qui a rempli l’histoire.

L’agnosticisme est la terminaison fatale, la conclusion inévitable à laquelle aboutit l’antique anthropomorphisme, soit qu’il demeure à l’état diffus et indivis qu’on nomme théologie, soit qu’il apparaisse comme métaphysiquement différencié, subissant l’influence d’un savoir progressif. À ce point de vue, l’agnosticisme n’est lui-même