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phosa en positivisme, c’est-à-dire devint une doctrine qui, tout en conservant de son passé une hostilité à peine déguisée contre la psychologie dont l’école critique s’était entièrement emparée, excellait surtout à faire prévaloir, dans les hautes questions philosophiques, les points de vue empruntés à la nouvelle science sociale. Mais loin de contredire nos vues sur la véritable genèse des idées philosophiques, l’absorption graduelle des anciennes conceptions du monde par quelques sciences en voie de formation tend plutôt à les confirmer d’une façon indirecte.

La philosophie hypothétique semble vouloir disparaître de nos jours dans certaines parties de la science positive, précisément parce que les hypothèses universelles redeviennent peu à peu ce qu’elles ont été à l’origine et ce qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’être — des hypothèses particulières. La science agit sur les idées philosophiques de la même façon que l’expérience proprement dite sur les idées scientifiques. C’est une vérité historique indéniable, qu’on ne supprime définitivement que ce qu’on remplace. Les grandes découvertes expérimentales qui ont créé l’astronomie et la chimie modernes, ont été également la cause première de l’abandon définitif des conceptions astrologiques et alchimiques. Semblablement, si l’ancienne philosophie doit disparaître un jour, elle ne le pourra qu’en vertu des mêmes faits qui feront surgir la philosophie nouvelle ; et le rôle dissolvant joué par la psychologie et la sociologie à l’égard des vieux systèmes philosophiques ne laisse aucun doute sur la nature ou le véritable caractère de ces faits. Ce sont les progrès du groupe des sciences hyperorganiques qui amèneront la chute définitive des conceptions théologiques et métaphysiques.

Cependant, même en admettant le caractère illusoire de la philosophie qui a précédé les sciences constituées, on peut se demander, si elle ne fut pas souvent, sinon toujours, leur maîtresse, selon une expression de M. Taine, si elle ne leur indiqua pas leur route, si les sciences ne la suivirent pas docilement ? « C’est à cette direction imprimée aux sciences positives, dit en effet M. Taine, qu’on reconnaît les grandes découvertes philosophiques ; le centre déplacé, tout le reste s’ébranle. Ainsi, dans notre siècle, les méthodes de construction et les hypothèses des métaphysiciens d’Allemagne ont précipité toutes les sciences particulières dans des voies nouvelles et leur ont ouvert des horizons inconnus. Nos Français du siècle dernier ont eu la même puissance et méritent le même respect[1]. »

J’ai déjà traité ailleurs[2] la question de l’influence de la philoso-

  1. Les Philosophes classiques, 6e édition, Paris, 1888, pp. 17-18.
  2. Ancienne et Nouvelle Philosophie, chap.  iii de la 3e partie.