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moderne, deviendra une vérité évidente, un truisme que personne ne prendra la peine de discuter.

III

Tâchons maintenant de déterminer le vrai rôle de la philosophie dans l’évolution mentale de l’humanité.

Claude Bernard a voulu définir la philosophie en disant que « l’indéterminé seul lui appartient, le déterminé tombant incessamment dans le domaine scientifique ». — « Les philosophes, ajoute-t-il, se tiennent toujours sur les questions en controverse, et dans les régions élevées, limites supérieures des sciences. Par là, ils communiquent à la pensée scientifique un mouvement qui la vivifie…[1] »

Avant lui. Th. Jouffroy[2] avait déjà déclaré que la philosophie était « la science de ce qui n’a pas encore pu devenir l’objet d’une science…, le reste de la science primitive totale, la science de l’obscur, de l’indéterminé, de l’inconnu ». Pour Jouffroy, l’unité de la philosophie est ce une unité de couleur et de situation, et non point une unité réelle ». — « Entre tous les objets de la philosophie, dit-il, il y a cela de commun, qu’ils sont encore obscurs et inconnus. »

Selon une dernière opinion, enfin, « la philosophie est l’assaisonnement sans lequel tous les mets sont insipides, mais qui, à lui seul, ne constitue pas un aliment ; — ce n’est pas nier la philosophie, c’est l’ennoblir que de déclarer qu’elle n’est pas une science, mais le résultat général de toutes les sciences[3] ».

Ces définitions ont un grave défaut : elles ne tiennent pas suffisamment compte du point de vue historique, qui est pourtant ici de rigueur, puisqu’il s’agit d’une évolution sociale ; et elles ne voient pas qu’il aurait fallu, suivant un exemple resté célèbre en politique, diviser le problème en trois parties, et demander ce que la philosophie a été, ce qu’elle est actuellement, et, enfin, ce qu’elle sera ou devra être un jour ?

Les définitions de Jouffroy et de Claude Bernard eussent été excellentes si elles ne s’appliquaient qu’au passé de la philosophie, celle-ci n’ayant été jusqu’ici, en eff’et, que la théorie ou la doctrine de l’indéterminé et de l’inconnu, — rien ou presque rien en comparaison de la science positive et des destinées futures qui l’attendent

  1. Introduction à la médecine expérimentale, p. 387.
  2. Nouveaux mélanges philosophiques, p. 145.
  3. Renan, Dialogues, Fragments, p. 281. Cf. P. Janet, Introduction à la science philosophique in Rev. phil, juin 1888.