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ROBERTY.l’évolution de la philosophie

s’agit, pour lui, que de l’opposition logique ou de la non-identité présumée de certains concepts généraux et abstraits ; il ne va pas plus loin, il ne considère pas les faits concrets qui correspondent à ces abstractions, et n’étudie pas leurs rapports de coexistence et de succession.

Bien différent est le procédé ou le point de vue sociologique. Il consiste à rattacher l’évolution des idées philosophiques à l’ensemble de l’évolution des idées scientifiques, et à considérer l’hypothèse invérifiable comme le signe certain qui indique l’immaturité du savoir correspondant. Partout où il rencontre une antinomie, un problème insoluble, le sociologiste soupçonne la présence, non d’un obstacle insurmontable, d’une barrière éternelle, d’un abîme sans fond, mais simplement d’un terrain vierge, incultivé, ou bien encore d’une jachère de la science, si l’on peut s’exprimer ainsi.

En somme donc, la méthode de M. Renouvier et de tous les criticistes pèche surtout par là, qu’elle nous conduit à voir une condition statique, un fait d’équilibre stable dans ce qui, en réalité, est une condition dynamique, un fait d’évolution. Les contradictions générales au milieu desquelles se débat notre esprit sont des phénomènes de croissance qui n’ont rien d’absolu. Il est d’ailleurs facile de prévoir que la translation de ces antinomies, du domaine de la philosophie dans celui de la nouvelle science psychologique, devra nécessairement entraîner à sa suite une modification profonde dans la signification ou le sens que nous attachons à ces termes prétendus incompatibles. Malheureusement, dans les essais de spécialisation déjà tentés, on s’est souvent trompé sur la voie à suivre ; on a demandé, par exemple, aux sciences physico-chimiques et biologiques la solution de problèmes qui appartiennent à la sociologie ou à la psychologie concrète, et vice versa. On a trop souvent oublié aussi qu’il n’y a qu’une méthode pour atteindre au général et à l’universel, et qu’elle consiste à observer le particulier : non pas superficiellement et en gros, comme l’ont fait les sciences sur lesquelles l’ancienne philosophie s’est principalement appuyée, mais minutieusement et par le détail, comme le feront les sciences plus avancées sur lesquelles se fondera la philosophie future. Que, d’un côté, on s’applique sérieusement à chercher, dans la science sociale, la loi de l’évolution interne qui préside aux destinées de la philosophie, et que, de l’autre, les sciences particulières se perfectionnent assez pour faire surgir de leur sein la série des philosophies spéciales correspondantes, et l’inutilité de la philosophie hypothétique, de la métaphysique dans le sens le plus large du mot, qui comprend l’ancienne métaphysique théologique aussi bien que l’agnosticisme