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ROBERTY.l’évolution de la philosophie

est le représentant. Il est évident, en effet, que si les progrès de la théorie de la connaissance résument, ou à peu près, les progrès de la philosophie, celle-ci n’a pu que demeurer stationnaire dans tout le cours de son histoire.

Quoi qu’il en soit, du reste, M. Renouvier est finalement forcé d’admettre deux séries parallèles de conceptions, l’une composée d’affirmations ou de thèses, et l’autre de négations ou d’antithèses, qui sont autant de termes conditionnés les uns par les autres. La première s’étend aux conceptions philosophiques qui prennent parti pour la matière contre l’idée, le fini contre l’infini, l’évolution contre la création, la nécessité contre la liberté, le bonheur contre le devoir, l’évidence contre la croyance ; et la seconde renferme les philosophies qui se prononcent pour les thèses opposées. M. Renouvier aboutit ainsi à la reconnaissance formelle de nos deux types philosophiques fondamentaux : le matérialisme et l’idéalisme. Il est vrai qu’il omet le type intermédiaire, le biologisme ou sensualisme ; mais c’est là, comme nous l’avons montré en une autre occasion, le défaut ordinaire des classifications purement psychologiques. La théorie sociologique peut seule expliquer la métaphysique tout entière, car elle est indépendante de la critique sensualiste ; mais la théorie psychologique n’est que le résultat, la conclusion obligée de cette critique qui, naturellement, ne peut se retourner contre elle-même ; elle n’atteint, par conséquent, que les deux formes extrêmes de la métaphysique.

En revanche, on trouve chez M. Renouvier une appréciation très juste des courants contraires qui ont entraîné la pensée des philosophes en les forçant à opter, dans la double série des thèses et des antithèses, pour des termes manifestement incompatibles. Les considérations qu’il développe à ce sujet viennent à l’appui de nos vues sur la prépondérance des systèmes mixtes dans l’histoire de la métaphysique. Mais il y a, entre les idées de M. Renouvier et les nôtres, un troisième point de contact, qui nous paraît plus probant encore.

En effet, la loi suprême de l’évolution des idées philosophiques doit être cherchée dans les rapports qui unissent les diverses phases de cette évolution à l’état incessamment modifié de nos idées scientifiques. La science évolue lentement et chacun de ses pas en avant est marqué par la solution d’un problème, qui peut être définitive, ou seulement temporaire et approximative. Toutefois, à côté des questions qui sont ou peuvent être traitées par les méthodes de la science, une large place appartient aux problèmes qui semblent entièrement échapper à l’investigation scientifique et qui, par suite, sont déclarés insolubles. C’est le bon sens vulgaire qui en décide