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Nous ne reviendrons pas ici sur les points qui ont été débattus et suffisamment éclaircis, croyons-nous, dans notre précédent travail. Mais, dans ce vaste sujet, il y a des questions que nous n’avons pas abordées ou que nous avons à peine effleurées. Les réflexions qu’on va lire nous ont été suggérées par nos méditations ultérieures sur la solution qu’il convient de donner à un problème de sociologie qui, à notre sens, prime aujourd’hui tous les autres problèmes agités par les philosophes.

Trois thèses bien distinctes en apparence, mais intimement liées en réalité, sont présentées dans les pages suivantes. La première ne tend à rien de moins qu’à faire ressortir l’identité fondamentale de la philosophie du passé et de la philosophie moderne ; la seconde se propose de montrer que la théorie psychologique de l’évolution de la philosophie, loin de contredire l’explication sociologique des mêmes faits, y est virtuellement contenue ; la troisième, enfin, qui forme le véritable nœud du débat et à laquelle nous consacrons la plus grande partie de cette étude, s’efforce de déterminer la place et le vrai rôle de la philosophie dans l’évolution mentale de l’humanité.

I

La question de la genèse de la philosophie moderne est encore l’objet de théories très vagues et d’explications qui n’ont rien de scientifique. On n’est guère sorti de la phraséologie banale sur la scission funeste entre la science et la philosophie, on parle d’éruptions soudaines de métaphysique venant interrompre un développement philosophique d’une espèce soi-disant totalement différente, on se complaît enfin dans la vieille opposition du dogmatisme et du scepticisme, on range tous les systèmes philosophiques dans deux classes, dont la première est censée représenter l’ancien esprit aventureux de la métaphysique, et la seconde, l’esprit prudent de la science.

Mais il faut se faire une étrange idée de l’évolution philosophique pour venir défendre aujourd’hui ces conceptions surannées. L’opposition radicale entre le dogmatisme, qu’on identifie avec la théologie et la métaphysique, et le scepticisme, qu’on rapproche de la science positive, n’a jamais été établie sur une base solide. On a dit, il est vrai, pour justifier cette opinion, que nulle philosophie ne saurait échapper au dilemme suivant : « ou construire une ontologie, et tomber dans les hypothèses, ou n’en pas construire du tout, et alors se passer de dogmatisme ; ou l’hypothèse avec ses incertitudes, ou