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« Le premier et rudimentaire degré de cette capacité de sentir, envisagé comme conscience, semble être le sentiment d’une unité de sensation, rien de plus ; ainsi, quand une limace porte en avant ses cornes et se trouve avertie de la présence d’un obstacle sur son chemin. Ce degré de sentir — le sentiment d’une unité et rien de plus — je l’appelle, faute d’un terme meilleur, « sensibilité ». Voilà la sensation sous sa forme la plus simple. Le sentiment confus est bien au dedans de l’organisme de la limace, mais l’organisme réfléchit et projette son acte de sentir dans le milieu extérieur. Le stimulus externe ne peut pas encore être appelé en toute rigueur « un objet », ni la limace « un sujet ». Un pas a été fait vers cette distinction, et c’est tout.

« Le jour où la psychologie de l’animal aura été complètement explorée dans sa corrélation avec la structure nerveuse, il sera possible de tracer les degrés de la marche ascensionnelle par laquelle on passe de cette sensation élémentaire à l’étage beaucoup plus élevé de la conscience animale, chez certains vertébrés par exemple. »

Tout s’enchaîne, à travers une série indéfinie de transitions, dans le monde de la sensibilité animale, où se révèle une seule et même activité que M. Laurie nomme la « conscience » ou « l’esprit » dans sa nature potentielle. Tout aussi se développe dans l’ordre de la connaissance humaine et raisonnée, par un même processus unique. Malgré ses modalités diverses, l’activité de la raison est une, et elle n’est rien que l’activité perceptive de la volonté-force, en tant que celle-ci entreprend d’effectuer l’analyse et la synthèse de ses sensations, c’est-à-dire de l’univers.

Car il y a un univers, et c’est pourquoi M. Laurie, tout en professant un sincère idéalisme métaphysique, se déclare un dualiste décidé, fait même de ce dualisme un caractère essentiel de sa doctrine. Le compatriote de David Hume s’efforce, avec un talent d’analyse admirable, d’établir contre les idéalistes absolus, ou simplement contre les idéalistes purement subjectifs, qu’il est impossible de confondre et d’identifier tout ce qui est contenu dans l’objet de sensation avec tout ce qui nous est révélé dans l’acte perceptif du sujet. L’opposition est fondamentale et non pas seulement psychologique, mais métaphysique. L’existence d’un univers distinct de nous, dit M. Laurie, nous est révélée dans la sensation elle-même, mais il ne suit pas de là qu’on doive substantialiser le monde comme objet, lui attribuer une indépendance métaphysique à laquelle il n’a pas droit et dont il n’a pas besoin ; contentons-nous de lui reconnaître une existence propre, puisque l’objet est la contre-partie nécessaire, ou du moins constante, de l’action réflexe ou volontaire, de la simple sensation ou de la perception cognitive. L’esprit de l’homme ne crée pas l’objet, parce qu’il le projette, comme dirait un berkeléien ; mais il le projette, parce qu’il l’a déjà subi et appréhende.

C’est ce que l’auteur explique dans un chapitre nouveau intitulé « Nature » dont nous citerons quelques lignes :