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il sera difficile de reconnaître la véritable individualité dans un composé d’abstraits, et si on dit que ces abstraits ne deviennent tels qu’après qu’on a décomposé le réel, il restera toujours qu’il est malaisé de trouver l’être, au sens plein et entier du mot, dans une simple variation de fonctions. C’est au moins un point à éclaircir. Il faudrait savoir aussi comment on peut accorder une telle conception avec la spontanéité et le libre arbitre. M. Dauriac, en définissant la loi individuelle par le caractère ou l’habitude, semble bien incliner vers la seconde interprétation : mais pourquoi ne s’est-il pas prononcé plus nettement, et n’a-t-il pas poussé sa pensée plus avant ? L’habitude se conçoit-elle toute seule, en l’air en quelque sorte, sans rien — je ne dis pas qui la soutienne, ce serait ramener l’idée de substance — mais qui la suscite et lui donne naissance ? Se conçoit-elle sans l’acte ? Ne faut-il pas faire un pas de plus, et au delà de l’habitude, reconnaître l’acte initial, qui sans doute n’est rien en dehors de ses manifestations, et par suite est très analogue à une loi, mais qui, en lui-même et dans sa nature intime, est plus et autre chose qu’une loi ? C’est peut-être une conception de cette sorte qui s’était présentée à l’esprit d’Aristote lorsqu’il substituait à l’Idée de Platon, trop générale et abstraite, l’Acte, qui n’est pas en un sens autre chose que l’Idée, mais l’Idée réalisée, individualisée en un point de l’espace et du temps, vivifiée dans un être déterminé. Quoi qu’il en soit de ce rapprochement, il est peut-être permis d’aller jusque-là dans une philosophie où on fait au libre arbitre une si large part, et où, en fin de compte, c’est la liberté qui est l’explication dernière de la réalité.

Mais nous n’avons pas l’intention de refaire ici l’œuvre de M. Dauriac. Il nous suffit d’en avoir présenté aux lecteurs un résumé fidèle, et d’avoir indiqué ces quelques réserves. Nous en avons dit assez pour qu’on puisse apprécier la valeur de cet ouvrage, l’intérêt des questions qui y sont posées, la force de pensée dont l’auteur a fait preuve, et les ressources de sa dialectique, parfois un peu heurtée, mais alerte et souple, et presque toujours sûre. Il faut signaler aussi les mérites d’un style vif et animé, riche en heureuses trouvailles, tout plein de ces formules, la joie des philosophes, qui résument et enserrent toute une suite d’idées en quelques mots imprévus et saisissants qui se gravent d’eux-mêmes dans l’esprit. M. Dauriac a écrit un livre qui lui fait le plus grand honneur ; et il a bien mérité de la vraie philosophie.

Victor Brochard.

M. Alexis Bertrand. Science et psychologie. Nouvelles Œuvres inédites de Maine de Biran, publiées avec une Introduction (E. Leroux, 1887).

Nous sommes en retard avec M. Bertrand. Bien des publications ont