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ANALYSES.l. dauriac. Croyance et réalité.

M. Dauriac résout cette difficulté en trouvant dans l’habitude le principe d’individuation nécessaire à chaque être. L’habitude est une loi, un principe de stabilité et de permanence, qui domine et règle le développement de l’individu. Et en même temps, elle est particulière et déterminée ; nous la trouvons dans l’individu sans sortir de l’individu, sans le comparer à d’autres. « Comparons, disait Lotze, l’essence d’une chose à une mélodie : on ne doute pas qu’il ne règne dans la succession des sons qui la composent, une loi de continuité esthétique, mais en même temps on reconnaît que cette loi est complètement individuelle ; il est absurde de considérer comme espèce ou exemple d’application d’une mélodie générale une mélodie déterminée. »

L’être est « une loi individuelle ». Cela n’empêche pas d’ailleurs qu’il y ait des lois plus générales, une hiérarchie des genres et des espèces, un plan de l’Univers. On peut affirmer la réalité des genres, non pas séparés des individus, sans revenir au platonisme. Et il ne faut pas dire non plus que ce sont de purs abstraits. Avant de les concevoir, on les perçoit : ils ne deviennent des abstractions qu’après avoir été abstraits.

Et maintenant, notre pensée n’est pas créatrice des genres et des espèces, des Idées. Elles existent pourtant. Faut-il leur chercher un siège dans un entendement archétype du nôtre ? Faut-il soutenir que toutes les consciences dérivent d’une conscience suprême ? Ici, M. Dauriac, n’osant suivre M. Renouvier jusqu’au bout, s’arrête et se dérobe. « Le premier devoir de la pensée envers elle-même est la reconnaissance de ses justes bornes. Cette reconnaissance impose la résolution de ne les point franchir. »

M. Dauriac ne nous pardonnerait pas de nous borner à présenter au public un résumé de son livre sans porter un jugement au moins sur la dernière partie. Nous n’avons pas l’intention d’en faire une critique approfondie, étant d’accord avec lui sur les points essentiels. Il est nécessaire pourtant de marquer des réserves, et d’indiquer des scrupules.

L’auteur appelle lui-même sa thèse un monadisme phénoméniste. Mais le moins qu’on en puisse dire, c’est que c’est un monadisme sans monades. Nous voyons bien que pour lui tous les êtres sont des sujets, définis comme des centres de représentation. Mais dans l’exposé de la doctrine, s’il est souvent question des représentations, on est moins explicite lorsque il s’agit de définir la nature de ces centres, de ces sujets, qui sont apparemment des unités. Nous ne savons pourquoi M. Dauriac soutient que Leibnitz n’a pas eu la prétention de démontrer l’existence des monades : il nous semble bien que le début de la Monadologie est la preuve du contraire. Leibnitz définit les monades avant de se prononcer sur leurs manières d’être. Nous ne contestons pas à M. Dauriac le droit de procéder d’une façon inverse ; mais après avoir défini les modes, c’est-à-dire les phénomènes, ne devrait-il pas nous