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ANALYSES.l. dauriac. Croyance et réalité.

pas parler substantivement, mais seulement adjectivement de tout ce qui est réel ».

Point d’absolu, point de substance, point de réalité, au sens que les métaphysiciens ont coutume de donner à ce mot : Voilà le résultat auquel nous sommes conduits. Faut-il donc s’en tenir au scepticisme ? À la rigueur on le pourrait ; quoi qu’on en ait dit, le scepticisme n’est pas impraticable, mais la morale interdit d’en rester là. Il faut trouver une théorie de l’existence, « définie de manière à éviter l’idéalisme, et a fortiori le scepticisme ; le substantialisme, et a fortiori le monisme ».

Le phénoménisme seul pourra répondre aux conditions du problème ainsi posé. Mais comment concevoir l’existence, s’il n’y a que des phénomènes, c’est-à-dire des apparences ? Dans un des chapitres les plus curieux et les plus neufs de son livre, M. Dauriac s’élève contre cette définition du phénomène qui le réduit à n’être qu’une sorte de néant. Si peu qu’il dure, il est quelque chose. « Un éclair a sillonné la nue ; il a duré tout au plus un vingtième de seconde ; il a duré cependant, car je l’ai perçu. Mais des transports de joie ou des frissons d’épouvante interviennent parfois au cours de nos rêveries : ils ne durent qu’un instant, témoin cette expression bien connue : un éclair de joie. Néanmoins nous avons tressailli d’allégresse, ou nous avons tremblé d’effroi. Cela nous l’avons éprouvé, et cela n’est rien ! Ainsi un peu plus ou un peu moins de durée suffirait à distinguer entre une chose qui est et une chose qui n’est pas ! » Le lien qui attache les notions de non réel et d’éphémère à l’idée de phénomène est synthétique, non analytique ; il doit être brisé. Les phénomènes sont les vraies choses, et les choses sont des colonies de phénomènes. Les phénoménistes ne sont donc pas des nihilistes, pas même des sceptiques. Au fond, les dogmatistes vont plus loin dans la négation que les sceptiques : ceux-ci, en effet, doutent que nous puissions atteindre la réalité des choses ; ceux-là assurent qu’on ne l’atteint jamais. Quant aux phénoménistes, ils opposent à l’impossibilité d’atteindre le réel, invoquée à la fois par les dogmatistes et les sceptiques, l’impossibilité d’atteindre le non réel. « S’il n’y a rien en dehors des phénomènes, loin de nous plaindre de ne pouvoir faire avancer la connaissance au-delà de leur sphère, félicitons-nous d’en être incapables. La mort de la substance est l’affranchissement du phénomène ; elle lui donne vie et réalité ; et le remède au scepticisme veut être cherché dans le phénoménisme. »

Il reste maintenant à déterminer la nature de l’existence, au point de vue phénoméniste ; tel est l’objet du chapitre l’Être et la Loi, le plus important du livre de M. Dauriac, le plus difficile aussi à résumer, et, nous le craignons, celui qui soulèvera le plus d’objections.

La thèse de M. Dauriac est, pour une bonne partie, empruntée à Leibnitz ; il l’appelle lui-même un monadisme phénoméniste, expression hardie, comme il le remarque fort justement. Mais le nom même