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lité de formuler une théorie présentable de l’erreur. Souvent ils repoussent, non sans quelque dédain, les thèses comme celle de Descartes qui font intervenir la volonté. On serait curieux de savoir ce qu’ils mettent à la place. À vrai dire, ils ne mettent rien, et ils n’ont pas l’air de se douter que, s’ils ne comblent pas ce vide, toute leur construction s’écroule.

À défaut du dogmatisme, décidément intenable, le scepticisme s’offre naturellement à l’esprit. M. Dauriac n’a pas de peine à montrer combien est superficiel et injuste le reproche de contradiction si souvent adressé aux sceptiques. Comme ils ne nient et n’affirment rien, pas même cela qu’ils ne nient et n’affirment rien, il est vraiment inique de les accuser d’affirmer à la fois et de nier une même chose. Une analyse bien curieuse de M. Dauriac est celle où il montre qu’un des arguments les plus solides en faveur du scepticisme, et peut-être le plus irréfragable, est la thèse essentielle du dogmatisme, celle qui affirme la réalité de la substance. La substance, en effet, dit-on, existe, et se manifeste par les phénomènes seuls directement connus. Cette substance est donc, par définition, un inconnaissable : et dès lors, de quel droit en affirmer l’existence ? C’est au cœur même du dogmatisme que le scepticisme trouve sa raison d’être. Le scepticisme suit invinciblement le dogmatisme, comme l’ombre suit le corps, ou plutôt comme la conséquence suit le principe.

Toutefois, s’il oppose le scepticisme au dogmatisme, ce n’est pas que M. Dauriac veuille s’y tenir. Cet acte de foi que les dogmatistes font sans l’avouer, et auquel les sceptiques se refusent, notre auteur l’accomplit sans hésiter. Il passe ainsi non du scepticisme au dogmatisme (on ne refait pas cette route), mais au probabilisme ; et entre cette doctrine ancienne, et le moderne criticisme, il aperçoit avec raison les plus étroites analogies. En un sens, il va plus loin que les sceptiques, puisque il ne recule pas devant la négation franche. Mais en même temps il ressaisit, sinon la vérité, du moins la connaissance vraie. « La vérité pour nous et par nous, celle qui naît de l’accord durable, sinon éternel, de nos représentations entre elles, et de nos représentations avec celles d’autrui, celle-là les probabilistes, ceux du passé comme ceux du présent, la tiennent pour un bien accessible, et ils l’estiment d’un prix supérieur à celui dont les fauteurs du vieux dogmatisme eussent payé la pleine et entière possession de la vérité absolue. En effet, les choses qui dépendent de nous valent mieux que celles qui n’en dépendent pas, et selon les probabilistes, la vérité est de celles qui en dépendent. »

La théorie de la croyance est dès à présent suffisamment justifiée : il reste cependant un point des plus délicats à éclaircir. La croyance est un acte de volonté : mais la volonté est-elle libre ? Le chapitre intitulé Dogmatisme et Déterminisme nous montre que ni le déterminisme, ni la théorie du libre arbitre ne sauraient être directement et apodictiquement démontrés ; la nécessité physique ou empirique est