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ANALYSES.p. janet. L’automatisme psychologique.

régulière. C’est la thèse fondamentale du chapitre que nous analysons. C’est aussi une des idées les plus originales de ce livre.

Maintenant, si nous reprenons les trois propositions de l’auteur, que nous venons de résumer, nous verrons qu’elles ne découlent pas nécessairement les unes des autres comme des propositions de géométrie.

Tout d’abord, c’est un fait d’observation que, lorsqu’une suggestion réussit, il y a oubli des idées antagonistes ; quand un sujet voit un éléphant imaginaire dans sa chambre, il ne se dit pas que c’est absurde ; quand une pauvre paysanne est transformée en princesse, elle oublie sa coiffe et son tablier : voilà le fait. Peut-être faudrait-il modifier un peu la façon dont l’auteur l’énonce ; car il n’est pas toujours vrai que la suggestion suppose l’amnésie. Il serait plus exact de dire que c’est la suggestion qui produit l’amnésie ; c’est ce dont on peut s’assurer chez les sujets qui ont beaucoup de spontanéité pendant leur somnambulisme. Dites à une fleuriste par exemple qu’elle est une princesse, elle répondra tout d’abord en invoquant sa condition de fleuriste ; il faudra lutter, discuter, et ce n’est que lorsqu’on aura vaincu son pouvoir de résistance qu’elle aura complètement oublié son premier état. L’amnésie n’est donc pas toujours la cause principale de la suggestion[1], elle en est souvent le résultat, elle est le signe que la suggestion a porté.

Maintenant, seconde question. Pourquoi l’amnésie se produit-elle ? Pourquoi les images antagonistes ne fondent-elles pas sur l’image fausse introduite par la suggestion ? L’auteur répond : c’est qu’il y a distraction, c’est que le sujet ne se préoccupe pas des sensations et des idées en dehors de celle qui fixe son attention. C’est une explication : elle me paraît exacte ; mais il y en a une autre, qui n’exclut pas la précédente, et qui n’est pas exclue par elle : c’est que les idées suggérées repoussent les idées contraires, exercent sur elles une action réductrice, une action d’arrêt. Fait étonnant, l’auteur ne parle nulle part des phénomènes d’inhibition systématique dans sa large dissection des phénomènes de conscience. Faisant un tableau général de l’activité humaine, il semble qu’il aurait dû accorder une large place à l’inhibition. C’est un oubli que M. Paulhan, mieux avisé, n’a pas commis. Pour me résumer sur ce premier point, je crois que l’explication que je propose en deux mots du mécanisme de la suggestion n’exclut pas celle de M. Pierre Janet, et, il me semble que suivant les conditions, l’idée suggérée se développe tantôt parce qu’elle ne trouve rien devant elle qui l’empêche de se développer, tantôt parce qu’elle réduit les idées antagonistes. Continuons l’examen de la théorie de l’auteur, elle se termine par une nouvelle interprétation : l’état de distraction, favorable au développement de l’idée suggérée, ne résulte pas d’une attention volontaire dirigée uniquement dans un sens, mais d’un rétrécissement de la conscience, c’est-à-dire d’une impossibilité de penser plusieurs choses à la fois. Ici encore, l’auteur nous paraît trop

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