Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
revue philosophique

fallait d’abord avoir imaginé les expériences convenables, et cela ni Bacon ni personne n’apprendra à le faire : c’est l’œuvre du génie. Descartes aussi croyait qu’une bonne méthode suffirait à tout, et il en proposait une, à son tour, « pour bien conduire, disait-il, sa raison et chercher la vérité dans les sciences ». Ce devait être une méthode de découverte, pour remplacer le syllogisme qui ne peut qu’exposer à autrui ce qu’on sait déjà, mais ne fait rien découvrir. Et il ne doutait pas qu’en suivant ses préceptes, beaucoup d’application et beaucoup de patience ne tinssent lieu de génie[1]. De nos jours, on voit mieux les limites entre lesquelles le domaine de la logique est resserré. Stuart Mill laisse prudemment en dehors la découverte ou l’invention, pour lesquelles il n’y a point de règles, et ne s’occupe d’en établir que pour faire la preuve des vérités déjà trouvées. La logique apprend non pas à résoudre un problème de géométrie, mais à juger si la solution est bonne après que le problème est résolu ; tâche beaucoup plus aisée, mais qui n’est pas inutile cependant à la première, car quiconque ne saurait pas juger d’une solution, à plus forte raison ne la trouverait-il pas lui-même. Aristote aussi apprend non pas tant à raisonner, qu’à reconnaître si un raisonnement ou un syllogisme déjà construit est bon ou mauvais, et il donne pour cela des formules d’une parfaite rigueur. Les trois tables de Bacon, les quatre méthodes de Stuart Mill en fournissent d’autres pour l’induction, laquelle n’est valable qu’autant qu’elle s’y trouve conforme[2] Ainsi les reproches que l’on fait à

  1. Plus tard, vers 1655, Pascal, fidèle ici à la pensée de Descartes, écrivait : « On peut avoir trois principaux objets dans l’étude de la vérité : l’un, de la découvrir quand on la cherche ; l’autre, de la démontrer quand on la possède ; le dernier, de la discerner d’avec le faux quand on l’examine. Je ne parle point du premier… La géométrie, qui excelle en ces trois genres, a expliqué l’art de découvrir les vérités inconnues ; et c’est ce qu’elle appelle Analyse, et dont il serait inutile de discourir après tant d’excellents ouvrages qui ont été faits. » (De l’esprit géométrique, dans les Pensées de Pascal, édit. Havet, t.  II. pp. 278-279.)
  2. Système de logique, de J. Stuart Mill, l. III, ch.  x, §  6 (t.  I, pp. 478-484 de la trad. franc, de L. Peiss.) Plus tard A. Bain fit cette remarque : « Il y a longtemps que j’ai été frappé de l’incompatibilité apparente entre la définition de la logique (selon Mill) dans l’introduction de son ouvrage — Science de la preuve ou de l’évidence —, et la double signification qu’il lui donne dans le titre — Principes de l’évidence et méthodes d’investigation scientifique — . Les écrivains antérieurs n’insistaient guère sur la preuve, et Stuart Mill passa d’un extrême à l’autre : pour lui, la preuve fut tout. Bacon, Herschel et Whewell semblaient croire que nous n’avions qu’à faire des découvertes, la preuve viendrait aisément ensuite ; supposition bien naturelle chez des hommes élevés principalement dans les mathématiques et la physique. Mill, à qui les sciences morales et politiques étaient plutôt familières, dit que la preuve était plus importante que la découverte. Mais bien que le titre comprenne plus de choses que la définition, il n’en comprend pas plus que l’ouvrage ; les méthodes d’investigation s’y trouvent