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ADAM.de l’imagination

qualité qui doit toujours avoir les mêmes effets. On sait, au contraire, que l’air pèse davantage dans les lieux bas que dans les endroits élevés, au pied d’une montagne que sur le sommet. On porta donc un tube de verre rempli de mercure et fermé par le haut jusqu’au sommet du Puy-de-Dôme, et la hauteur du liquide se trouva moindre à mesure qu’on s’élevait. « Pourquoi, dit alors Pascal, les pompes aspirantes élèvent-elles l’eau plus bas d’un quart sur le Puy-de-Dôme en Auvergne qu’à Dieppe ?… Est-ce que la nature abhorre moins le vide sur les montagnes que dans les vallons ? Ne le hait-elle pas également sur un clocher, dans un grenier et dans les cours ?… » L’expérience était réellement décisive, disait-il encore, empruntant, sans le savoir peut-être, le mot même que Bacon donne aussi à ses expériences indicatrices (instantia decisoria). Plus tard, en 1770, pour en finir avec cette opinion, vain héritage du passé, que les éléments se transforment les uns dans les autres, l’eau par exemple, en terre (ne retrouvait-on pas, en effet, disait-on, un résidu terreux, dans un vase de verre où l’on avait fait bouillir et évaporer de l’eau), Lavoisier, pris d’une idée, fît bouillir de l’eau dans un vase de verre, qu’il avait pesé d’avance ; après l’opération, le verre de ce vase pesait moins, et le poids perdu était justement celui du résidu terreux ; la terre venait donc non pas de l’eau, mais du verre attaqué et dissous par l’eau sous l’influence d’une ébullition prolongée[1].

Si le savant se montre capable d’inventer, à coup sûr c’est là ou nulle part ailleurs. Et il ne s’agit plus d’une invention renfermée tout entière dans l’esprit ou dans le cerveau humain, comme celle d’un système philosophique, semblable, disait Bacon, à ces toiles que l’araignée tisse de sa propre substance. Mais la provision de faits réels, lentement amassée comme par un travail de fourmi, est enfin mise en œuvre, et reçoit de la pensée qui l’interprète un


    Crucis en physique (§  246). — Elle a été récemment étudiée à ce point de vue par l’auteur du présent travail, dans la Revue philosophique (décembre 1887 et janvier 1888).

  1. Lavoisier, par Ed. Grimaux, 1888, p. 98-99. Cette expérience est de 1770. Jusque-là on manquait d’une expérience décisive pour combattre la théorie des quatre éléments et de leurs transmutations réciproques. M. Grimaux ajoute : « La question du changement de l’eau en terre préoccupa également Scheele qui arriva aux mêmes résultats que Lavoisier par une voie toute différente… Scheele, élevé dans un laboratoire, adonné presque exclusivement à la chimie, ne pensa pas à recourir aux pesées ; il analysa le résidu terreux laissé après évaporation de l’eau distillée qui avait subi une longue ébullition dans un vase de verre, y reconnut la présence de la silice, de la potasse et de la chaux, c’est-à-dire des matières qui entrent dans la composition du verre, et en conclut que l’eau avait dissous une partie de celui-ci. Scheele expérimentait en chimiste, Lavoisier en physicien. »