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ADAM.de l’imagination

est requise une certaine activité de l’esprit, il prend soin d’avertir que, même dans ces expériences savantes, c’est le nom qu’il leur donne, on va encore d’un fait à un autre fait, du particulier au particulier, sans l’intermédiaire d’une idée générale[1]. Il se trompe peut-être, mais sa déclaration est formelle, et si quelque idée agit, même en ce cas, c’est du moins à son insu. Ne va-t-il pas jusqu’à dire que bien des découvertes que nous pouvons faire ne dépassent point la portée des animaux ? Eux aussi ont leur manière de trouver quelque chose, en faisant grande attention à un objet qui les menace ou dont ils ont besoin, en s’exerçant à s’en emparer ou à y échapper, comme le soin de leur conversation l’exige impérieusement. De même l’homme, sous la pression des circonstances, et à la suite d’essais nombreux et pénibles, a fini par trouver bien des choses que nous attribuons aujourd’hui à son industrie. Les anciens étaient mieux avisés, dit Bacon, lorsqu’ils rapportaient les inventions à l’instinct des animaux plutôt qu’à la raison de l’homme, et qu’ils adoraient dans les temples d’Égypte des images d’oiseaux, de quadrupèdes, de serpents, comme celles des vrais inventeurs[2].

Cependant Bacon reconnaît aussi un double mouvement de l’esprit dans la science, pour s’élever des faits particuliers jusqu’aux lois, et pour redescendre ensuite d’une loi à des faits nouveaux[3]. Et cette différence n’est pas seulement celle de la science pratique ou de l’art et de la théorie pure, auquel cas nous n’aurions que l’application d’une loi déjà établie d’ailleurs et non pas une expérience faite en vue d’établir cette loi, lorsqu’elle n’était encore qu’une hypothèse ; mais, en un autre endroit, avant de songer aux applications futures, Bacon parle de redescendre de la loi ou de la règle supposée à de certaines expériences qui doivent la confirmer. Ou s’il ne le dit pas expressément, au moins il le fait. Car parmi les exemples privilégiés qu’il énumère en si grand nombre, il en est auxquels il s’arrête avec complaisance. Ce sont ces exemples qui, comme les poteaux indicateurs en forme de croix à la jonction des chemins, renseignent le passant sur celui qu’il doit prendre (Instantise Crucis)[4]. Ainsi le savant, en présence de deux ou plusieurs hypothèses pour expliquer un même fait, hésite jusqu’à ce

  1. De Augmentis, l. V, ch.  ii. (S., I, 622 et 623 ; ou B., I, 252.)
  2. Ib., l. V, ch.  ii : « …Non enim alla hic proponitur iiiveniendi methodus, quam cujus bruta ipsa sunt capacia, et quam crebro usurpant : nimirum attentissima circa unam rem sollicitudo, ejusque perpetua exercitatio, quas sui conservandi necessitas hujusmodi animantibus imponit… » (S., I, 618-619 ; ou B., I, 247-249.)
  3. Ib., l. III, ch.  iii. (S., I, 347 ; ou B., I, 169.) — Cf. Nov. Org., l. I, aph. 103.
  4. Nov. Org., l. II, aph. 36, inst. 14.