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ADAM.de l’imagination

de lui, et non plus des choses, quelque indication sur la loi. Il le laissera se tromper ; c’est encore le meilleur moyen de finir par rencontrer juste. La vérité se tire plus aisément de l’erreur, qui introduit déjà quelque ordre dans les choses, que de la confusion première où on les a trouvées[1]. On a commencé par cueillir à la vigne des grappes de choix, on les a mises au pressoir : le premier jus qui va couler ne sera plus cette eau fade dont se sont contentés si longtemps les philosophes pour n’avoir pas su profiter des fruits que fournissait la nature, mais une liqueur gardant le goût du terroir qui l’a produite. Et Bacon appelle première vendange cette opération de l’esprit qui se hasarde à extraire une loi de la masse des faits entassés jusqu’alors[2].

Cet appel à l’intelligence, qu’il semblait avoir condamnée sans retour, a paru si étrange que plusieurs interprètes n’ont voulu voir là qu’un oubli du philosophe, une parenthèse qu’on peut ôter de son œuvre sans que celle-ci en soit mutilée, et qui en dénature même le caractère[3]. Mais Bacon insiste à plusieurs reprises sur ce que l’esprit mêle déjà de ses réflexions au simple récit des faits. L’histoire toute simple, sans aucune hypothèse, celle qu’il recommande enfin, n’est pas, de son propre aveu, celle à laquelle il se tient dans la pratique. Les ébauches qu’il en a laissées, histoire des vents, histoire de la vie et de la mort, du dense et du rare, etc., contiennent, avec de nombreuses observations, quelques règles aussi qu’il tire de là. A vrai dire, ce sont des règles qui peuvent changer, des règles provisoires, par conséquent, et que l’on suppose jusqu’à ce que l’on trouve les règles définitives ou les lois cherchées. Mais toute hypothèse qu’imagine le savant sur la cause d’un fait est du même genre. Il ne la donne pas non plus comme vraie ; elle n’est que probable encore et l’expérience pourra fort bien la démontrer fausse. Elle est utile cependant, elle est même nécessaire pour avancer la recherche ; sans

  1. Nov. Org., l. II, aph. 20 : « Attamen quia citius emergit veritas ex errore quam ex confusione, utile putamus, ut fiat permissio intellectui, post tres tabulas comparentise primæ (quales posuimus) factas et pensitatas, accingendi se et tentandi opus interpretationis naturae in affirmativa… »
  2. Ib. : « Quod genus ten tam enti, permmionem intellectus, sive interpretationem inchoatam, sive vindemiatlonem primam appellare consuevimus ». — Cf. Cogitata et Visa :« Neque enim fieri potest (quod ille per jocum dixit) ut idem sentiant qui aquam et qui vinum bibunt. Illos enim liquorem imbibere crudum et ex intellectu vel sponte manantem, vel industria quadam haustum : se autem liquorem parare et propinare ex infinitis uvis, iisque maturis et tempestivis, et per racemos decerptis et collectis, et subinde in torculari pressis, et in vase repurgatis et clarificatis... » (Edit. Spedding, Eilis and Heath, III, 608 ; ou bien édit. Bouillet, II, 375.)
  3. M. Ellis, entre autres, dans sa préface générale aux Œuvres de Bacon, (édit. Spedding, etc., I, 36, 7.)