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A. BINET.concurrence des états psychologiques

Nous rappelons ces faits d’observation vulgaire, mais nous, ne nous y arrêterons pas, car si la signification de ces faits est assez précise, il est difficile de les étudier en détail ; on comprend bien qu’une des opérations intellectuelles est entravée par l’autre, mais on ne la voit pas, on ne la touche pas du doigt, on ne peut pas examiner dire ctement ce qu’elle devient.

Pour donner à l’observation une précision plus grande, j’ai eu recours à la méthode graphique, dont l’introduction en psychologie me paraît très désirable. J’ai imaginé une expérience qu’on peut répéter facilement sur tout le monde, et qui, avec les perfectionnements qu’on lui apportera, pourrait bien devenir un procédé précieux pour l’étude des actions d’arrêt en psychologie. Cette expérience est la mise en œuvre des relations étroites qui existent entre les phénomènes moteurs et les phénomènes de l’idéation. M. Romanes a insisté avec force sur le parallélisme des coordinations d’idées avec les coordinations de mouvements. Après avoir montré que les mouvements sont susceptibles des mêmes associations que les idées, il a remarqué, ce qui est très intéressant, que « les troubles pathologiques qui se montrent dans les centres nerveux chargés de régir les muscles ont leurs équivalents dans des troubles similaires qui se produisent dans les centres nerveux chargés de régir l’activité mentale. » Ainsi le « nervosisme », ou trouble de l’état d’équilibre normal des centres nerveux, brouille les idées comme les coordinations musculaires ; dans les deux domaines, il agit d’une façon étonnamment pareille. L’idiotie trouve son parallèle dans l’incapacité d’accomplir des mouvements musculaires complexes ; cette incapacité accompagne presque immédiatement l’idiotie[1] ».

Ce sont des considérations analogues qui m’ont suggéré l’idée du procédé d’étude que je vais décrire.

On peut ramener ce procédé, sous sa forme la plus simple, à l’expérience suivante ; on place dans la main du sujet un tube de caoutchouc fermé, et relié à un appareil enregistreur ; on prie le sujet de serrer le tube un certain nombre de fois, en adoptant un certain rythme qu’il doit s’efforcer de conserver pendant tout le cours de l’expérience ; puis on lui demande d’exécuter en même temps un travail intellectuel, tel que de lire à haute voix, de réciter un morceau appris par cœur, ou de faire de tête une opération de calcul. On produit ainsi, d’une façon artificielle, un conflit entre deux opérations intellectuelles qui n’ont rien de commun.

J’ai entrepris et suivi longuement cette expérience sur huit sujets ;

  1. Évolution mentale, p. 32.