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ments actuels, les mouvements ultérieurs suivent selon les lois de la mécanique. Mais la question philosophique est de savoir si les cellules du cerveau et leurs mouvements, si même les atomes composants des cellules pourraient être réellement donnés sans qu’il y eût parmi les facteurs premiers de leur existence concrète des facteurs d’ordre mental, autres que les facteurs purement algébriques et mécaniques ; en un mot, il s’agit de savoir si la matière, dont l’évolution produit les organismes, n’enveloppe que figure et mouvement, ou si elle enveloppe quelque chose de psychique, un germe de sensation et d’appétition. Or, il est clair que l’exclusion des facteurs primordiaux de l’évolution ne peut être démontrée expérimentalement ; rationnellement, elle ne peut pas davantage être démontrée ; de plus, elle est, à ce point de vue, insoutenable, parce qu’alors le problème revient à tirer des facteurs d’une équation ce qu’on en a préalablement éliminé. Toute la philosophie des idées-forces n’a d’autre but que de montrer l’impossibilité philosophique d’une telle élimination et le caractère purement algébrique d’une conception mécaniste du monde sans éléments psychiques.

Spencer prend pour loi primordiale l’évolution entendue mécaniquement ; or, l’évolution mécanique et même, en général, l’évolution n’est pas vraiment une loi : elle est un résultat de lois, qu’il s’agit précisément d’expliquer. Les faits historiques du xixe siècle n’ont pas lieu parce que le monde évolue, passe de l’homogène à l’hétérogène, du simple au complexe, de l’indéfini au défini ; mais le monde évolue parce qu’il y a dans les éléments de la réalité quelque chose qui aboutit à la réciprocité d’action universelle, à un passage de l’homogène à l’hétérogène. La fleur n’existe pas parce qu’elle a tel nombre réglé et déterminé de pétales, mais elle a tel nombre réglé de pétales parce que les éléments producteurs viennent s’encadrer dans cette forme et dans ce dessin régulier. Spencer prend la conséquence pour le principe, le résultat de l’entre-croisement des lois pour la loi primordiale, comme si on croyait que ce sont les dessins de la toile qui ont fait la toile, sans les fils, la navette et le tisserand. L’évolution mécanique présuppose une évolution interne, et celle-ci des lois plus radicales encore dont elle n’est que le complexus. Le processus réel de la nature qui aboutit à faire tomber un corps est tout différent de ce que nous appelons la loi physique de la chute des corps ; la nature ne connaît pas cette loi, ni même probablement aucune loi, toute loi étant une formulation mentale et un symbole. Métaphysiquement, le corps ne peut tomber qu’en vertu de certaines actions et passions, de certaines énergies intimes. Nous ne pouvons nous faire une représentation de ces énergies que par analogie avec