Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
revue philosophique

aux seuls objets, dont leur contenu est l’effet. Aussi les physiologistes n’ont-ils pas manqué de dire aux psychologues de l’association et aux disciples mêmes de Herbart : — Votre prétendue association d’idées et votre prétendu conflit d’idées n’existent pas : ce ne sont point les idées mêmes qui s’associent ou qui luttent ensemble ; ce sont les vibrations cérébrales, dont les idées sont simplement les indices. Les ombres chinoises ne se succèdent pas dans tel ordre parce que la première agit sur la seconde, mais parce que la main qu’on ne voit pas les fait apparaître dans cet ordre. Un nuage ne prend pas dans le ciel la forme d’une tour parce qu’il avait auparavant la forme d’une montagne, mais il a pris successivement ces deux formes sous l’action du vent qui le pousse. La psychologie de l’association et celle de Herbart sont une étude sur les formes habituelles des nuages, non sur les causes de ces formes.

Au lieu de vraies idées-forces, on revient ainsi aux idées-reflets. C’est que l’aspect objectif, dans cette théorie, a entièrement absorbé l’aspect subjectif : le sujet n’existe vraiment plus. La chose reste tolérable tant qu’on s’en tient aux phénomènes intellectuels, à l’étude des représentations proprement dites. Il suffit, en effet, de poser des représentations ayant : 1o un contenu représentatif ; 2o une intensité, pour expliquer avec ces deux éléments un grand nombre d’états intellectuels. Mais la doctrine est de moins en moins satisfaisante quand on passe à ces manifestations beaucoup plus proprement subjectives qu’on appelle plaisirs et peines, désirs et aversions, et qui, outre les éléments représentatifs qu’elles présupposent, outre l’intensité du caractère dynamique qu’elles possèdent, ont encore en plus un caractère sui generis qu’on peut appeler hédonistique et appétitif. Comment expliquer une douleur ou une jouissance par un simple rapport entre des représentations ? Dira-t-on qu’une représentation plaît à une autre représentation ou lui fait de la peine ? Dira-t-on que l’idée du pôle nord intéresse l’idée de naviguer vers les mers glaciales ? Évidemment, les contenus des idées, en tant que représentatifs d’objets, ne rendent pas compte de leur caractère agréable ou pénible. Dira-t-on alors que ce sont leurs intensités qui rendent compte de ce caractère ? Assurément l’intensité des représentations joue un grand rôle dans le plaisir ou la peine qu’elles causent ; mais Wundt et James Ward ont montré que, dans la « courbe du sentiment », il y a un point singulier, un « point d’arrêt » où les plaisirs intenses, en augmentant encore d’intensité, se changent plus ou moins rapidement en peines[1]. L’intensité n’est donc pas une

  1. Voir le profond article de James Ward, intitulé Psychology, dans l’Encyclopædia britannica.