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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

thèses matérialistes, comme les hypothèses spiritualistes, à la métaphysique.

La conception des sentiments-forces, des appétitions-forces, des idées-forces, est donc essentielle en psychologie. Mais elle peut être interprétée en deux sens profondément différents, selon que la force attribuée aux idées et états mentaux est conçue comme celle d’objets divers agissant les uns sur les autres, ou comme celle d’un sujet capable d’appétition et agissant sur des objets. La première théorie est celle des associationnistes et de Herbart. Les associationnistes se figurent les idées comme des forces distinctes et même comme des atomes distincts. La théorie de l’association aboutit ainsi à une série d’idées discrètes. Herbart, lui, rétablit la continuité et considère la conscience non plus comme une série d’états mutuellement exclusifs, mais comme un seul tout continu déterminant les relations simultanées ou successives de ses parties. Les facteurs qui coopèrent à la production d’un état quelconque persistent en tant que facteurs à travers tous les autres états[1]. Cette conception est beaucoup plus vraie ; mais Herbart n’en continue pas moins de transférer toute la force aux représentations considérées dans leur action mutuelle : les idées s’attirent ou se repoussent, entrent en conflit ou en harmonie. Nous n’avons plus sans doute, comme dans la vieille psychologie, des facultés, pouvoirs, etc. ; mais nous avons des « attractions, répulsions, associations, complications, fusions », qui font reparaître, du côté des seuls objets, l’activité attribuée au sujet. Le sujet même se réduit à une « idée complexe » qui naît sous des conditions particulières.

Ce point de vue tient à ce que Herbart a considéré exclusivement dans les états de conscience le côté représentatif, c’est-à-dire la propriété d’avoir un contenu qualitatif venant du dehors, de l’objet même. Le côté appétitif, au lieu d’être fondamental, paraît dérivé à Herbart l’appétition n’est plus à ses yeux qu’un rapport de représentations, une « tension dérivant de leur conflit ». Le plaisir même et la douleur sont encore des « relations de représentations ».

Pourrait-on s’en tenir à des idées-forces entendues d’une manière analogue ? — Nous ne le croyons pas. La théorie anglaise de l’association des idées et la théorie allemande du conflit des idées, en paraissant douer de forces diverses les idées diverses, leur retirent en réalité l’énergie véritable ; car, tout devenant représentation et la représentation n’étant que l’expression du dehors dans le dedans, la force qui semblait appartenir aux idées appartient réellement

  1. Voir la remarquable exposition du système de Herbart, par G. Stout, dans Mind, 1889.