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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

que l’idée peut avoir, comme facteur, cause, condition de changement pour d’autres phénomènes, etc. ; en un mot, toutes les formes d’efficacité quelconque, par opposition aux idées-reflets, aux idées-ombres, aux idées inactives qui n’entrent pour rien dans le résultat final et n’en sont que des symboles. En outre, nous prendrons le mot d’idée ou de pensée au sens cartésien, comme exprimant les états de conscience non seulement avec leur côté intellectuel, mais aussi avec le sentiment et l’appétition qui en sont inséparables. L’idée, au sens le plus étroit, est une représentation intérieure de ce qui est ou peut être, un état de conscience représentatif d’un objet ; elle est, dirait Spinoza, un mode de la pensée. Mais on peut aussi prendre le moi idée en un sens assez large pour embrasser tous les états de conscience actuellement ou virtuellement réfléchis sur eux-mêmes. Ces deux sens du mot idée sont nécessairement liés. Dès qu’un état de conscience est saisi comme distinct par la conscience même, fût-il une émotion de plaisir ou de douleur, fût-il une impulsion, une appétition, une volition, il devient forme de conscience susceptible de réflexion sur soi (εἶδος) ; en outre, tout état de conscience ainsi aperçu existe plus ou moins pour un sujet et est plus ou moins représentatif d’objets : nous n’avons pas de plaisirs ni de peines, encore moins d’appétits, sans une représentation quelconque. Il est donc parfaitement rigoureux d’appeler idées tous les états de conscience en tant qu’inséparables de quelque représentation qui leur donne une forme, un objet, et les rend susceptibles de réflexion sur soi dans le sujet conscient.

La question est alors de savoir si la représentation de ce qui est ou peut être, si, plus généralement, la conscience ou la réflexion a une efficacité pour modifier ce qui est et faire exister ce qui peut être. De plus, puisque la représentation proprement dite enveloppe toujours l’image de quelque objet ayant un rapport avec le temps et avec l’espace, formes universelles de la représentation même, il s’agit de savoir si toute idée n’enveloppe pas la perception plus ou moins confuse d’un changement dans le temps et dans l’espace, d’un mouvement en train de se modifier sous l’influence combinée de notre effort et du milieu résistant. L’idée serait ainsi la révélation intérieure d’une énergie et de son point d’application, d’une puissance et d’une résistance, d’une force en action ou d’une motion actuelle. De plus, l’apparition de l’idée marquerait une réaction capable de changer le cours des choses tel qu’il eût été sans elle et sans ses conditions indivisiblement physiques et psychiques.

La philosophie des idées-forces a pour but de montrer qu’en effet la révélation de ce qui est, peut être ou doit être, rend possible et