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L’ANOMALIE DU CRIMINEL


Nous avons dit, à la fin de l’article précédent[1], que notre notion du crime nous conduisait tout naturellement à l’idée de l’anomalie morale du criminel. Les adversaires de notre théorie pourraient nous répondre que c’est une supposition, une affirmation gratuite. De ce que le criminel a violé un sentiment moral, on n’est pas autorisé à conclure qu’il a une organisation psychique différente de celle des autres hommes. Le criminel pourrait être tout aussi bien un homme normal, qui a eu un moment d’égarement, et qui pourrait s’en repentir. Nous n’avons pas prouvé que l’immoralité de l’action soit le miroir parfait de la nature de l’agent et que le criminel soit insusceptible des sentiments qu’il a violés lui-même. Encore, pourrait-on nous dire, tout en acceptant la théorie naturaliste qui fait de la volonté une résultante, « l’acte volontaire — selon un psychologue contemporain — suppose la participation de tout un groupe d’états conscients ou subconscients qui constituent le moi à un moment donné ». Or, ces états de conscience ne peuvent-ils pas varier jusqu’à entraîner de nouveaux actes volontaires tout à fait opposés aux premiers ? Le criminel d’aujourd’hui ne pourrait-il pas être l’homme vertueux du lendemain ? Qu’est-ce qui prouve l’absence complète du sens moral, ou le défaut organique, ou même simplement la faiblesse de l’un ou de l’autre des sentiments altruistes élémentaires ? La force de certains motifs n’a-t-elle pas pu vaincre, à un moment donné, la résistance du sens moral, sans qu’il soit nécessaire d’imaginer, dans certains hommes, une organisation psychique différente ?

Ce qui donne à ces doutes une réponse décisive, c’est que nous ne connaissons pas uniquement le criminel par le fait de l’acte qui l’a révélé, mais par toute une série d’observations démontrant la cohérence d’un acte de ce genre avec certains caractères de l’agent ; d’où il s’ensuit que l’acte n’est pas un phénomène isolé, mais qu’il est le symptôme d’une anomalie morale.

  1. Voir la Revue de janvier 1887, p. 1 et suivantes.