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II

La lutte pour l’existence entre les agents qui tendent à produire une sensation est souvent visible. Mais il est inutile d’insister. Chacun sait que le bruit de l’orchestre couvre souvent la voix des chanteurs et que le soleil nous empêche de voir les étoiles. Le phénomène de l’irradiation est un fait du même genre. Un objet peu éclairé, placé sur un fond lumineux, nous parait moins grand que s’il était placé sur un fond sombre.

« On admet, pour expliquer ce fait, que les parties très lumineuses ébranlent non seulement les points de la rétine où elles viennent se peindre, mais encore les points les plus voisins, de façon à empiéter sur les images des parties moins éclairées[1]. » De même, deux carrés de dimensions égales, l’un blanc sur fond noir, l’autre noir sur fond blanc, paraîtront inégaux, et le blanc paraîtra le plus grand. L’excitation produite par l’objet lumineux ou plus éclairé, étant plus vive, tend à l’emporter sur l’autre, à la limite où elles se rencontrent.

On sait que les daltoniens ne peuvent distinguer nettement les couleurs et confondent par exemple le vert et le rouge. L’explication que M. Delbœuf propose pour ce fait[2] peut servir à montrer comment ici il y a concurrence suivie de sélection entre les agents extérieurs. En supposant que la rétine comparée à une membrane montée naturellement à un certain ton, mais susceptible de se tendre ou de se détendre sous l’action des forces extérieures, soit spécialement adaptée à la lumière verte, la sensation du vert sera provoquée par la production du mouvement vibratoire qui caractérise la composition de la membrane sensible. Les rayons bleus et violets tendront à lui imprimer un mouvement plus rapide, et les rayons jaunes et rouges, un mouvement plus lent. La rétine tend à se maintenir à l’état 0, et elle offrira une certaine résistance aux autres couleurs que le vert, résistance accrue par la présence de rayons verts dans les couleurs complexes. Les rayons rouges ne peuvent être reçus, à moins que des circonstances spéciales ne leur viennent en aide, et c’est ce qui se produira par l’interposition d’une solution de fuchsine qui arrête les rayons verts, ou grâce à une projection de lumière pourpre qui renforce les rayons rouges. On voit la lutte et la sélection, et comment les circonstances extérieures peuvent faire triompher telle ou telle excitation. Quelle que soit d’ailleurs la théorie adoptée pour rendre compte du daltonisme, ce fait subsiste et ressort des expériences ingénieuses de MM. Delbœuf et Spring. On

  1. Kuss et Duval, Physiologie, p. 544.
  2. Delbœuf et Spring, Le daltonisme (Revue scientifique du 23 mars 1878).