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perez. — l’éducation du sens esthétique

trompettes, aux soldats de plomb ou de sapin colorié, jouets aussi bruyants qu’inertes, j’estime qu’une sage pédagogie doit les briser dans les mains des enfants, d’autant plus qu’ils me paraissent les prédisposer à une manie depuis trop longtemps française, celle de jouer à la guerre. Plus nous irons, plus nous devrons considérer la guerre, non pas comme un jeu brillant, mais comme la plus terrible des nécessités et la plus affreuse occupation des hommes.

Une fois entré dans la voie des proscriptions et des exécutions, on a peine à s’arrêter. Bien peu de mères me pardonneront de ne pas même respecter les poupées de leurs fillettes. Les plus sérieuses daigneront au moins discuter avec moi cet arrêt délicat, et elles auront toutes sortes de raisons pour défendre un préjugé séculaire, voire préhistorique. Je lis, en effet, cet intéressant passage d’un article dernièrement publié dans un grave recueil par une savante femme. « Si l’on présente à l’enfant quelque grossière poupée, habillée d’oripeaux brillants, en lui disant encore : C’est beau ! il la saisira avidement en répétant : C’est beau ; beau ! flatté à la fois dans son instinct esthétique naissant par l’éclat de couleur, et dans ses instincts imitatifs par la vague ressemblance qu’il saisira entre la forme de cet objet et celle de sa mère ou de sa nourrice, dont ni le tableau sans relief, ni les formes sans couleur de la statue n’auraient pu lui donner l’illusion assez complète. La poupée fut certainement le premier essai de l’art imitatif, et devint rapidement fétiche chez l'homme, dès lors accoutumé à lier l’idée de beauté, même à toute représentation grossière de la simple nature, pourvu qu’elle lui donnât cette illusion de la vie, d’autant plus facile à provoquer en lui que ses sens sont plus grossiers, son esprit moins analytique et ses sensations plus vives et plus naïves[1]. » Ainsi la poupée serait une invention aussi recommandable par son antiquité que par ses qualités esthétiques. Plusieurs mères fort instruites m’ont assuré aussi que ce respectable fétiche est non moins utile à développer le sens moral que le goût chez les petites filles. La poupée est pour elles une petite camarade, ou une imitation de grande personne. Elles la traitent en amie ou en mère raisonnable, elles lui répètent les leçons qu’on leur a faites, elles la conseillent, la grondent, la louent, la surveillent, la déshabillent, la débarbouillent, l’habillent, lui taillent ses robes et ses atours, lui apprennent le bon ton, les bonnes manières, les convenances et la sagesse. Que de mérites inappréciables aurait la poupée ! Mais toute médaille a son revers : la poupée n’a-t-elle que des

  1. Philosophie positive, 11e année, No 5, p. 211, Clémence Royer.