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ostensiblement beaux pour lui. Il lui arrive souvent, pour vérifier les progrès de son jugement esthétique, de lui dire de tel ou tel objet : « Est-il beau ? » ou « Est-il vilain ? » Elle force ainsi son enfant à faire effort d’attention pour prononcer en connaissance de cause le jugement qu’on lui demande, et surtout elle évite de lui imposer ses propres jugements tout faits, ou même ses phrases toutes faites.

On peut donc parvenir indirectement à connaître et à diriger l’esthétique de l’enfant, en lui laissant tout voir, en lui offrant tout à voir. D’ailleurs il ne faut pas oublier que le sens esthétique est une des formes de la science des réalités. Faites-lui bien observer ce qu’il voit, les plantes, les animaux, leurs parties, les différences entre les uns et les autres, la proportion ou la disproportion qu’il peut saisir entre eux ; faites de l’enfant un être curieux de la réalité, et surtout sympathique, et la nature se chargera presque toute seule de développer en lui l’idée native du beau.

Mais c’est là simplement de l’éducation scientifique ? Oui, car il n’y en a pas d’autre qui mérite le nom d’éducation, et celle-ci a l’avantage d’être appropriée à tous et à chacun. Ne craignons pas de rendre un enfant trop positif, et ne croyons pas trop facilement, comme on l’a dit, que la science et l’art ne puissent pas faire bon ménage ensemble. Quoi ! un enfant manquera de poésie, parce qu’il saura que tel objet est un objet rond, carré, long, court, plus grand ou plus petit que tel autre semblable ; qu’il est poli, doux, rugueux, piquant ; léger, pesant, et plus ou moins que tel autre semblable ; que tel animal a six pattes, tel autre quatre, tel autre deux ; que tel animal est vilain, parce qu’il a la tête trop grosse, ou le cou trop long, ou les jambes trop longues ; tel autre beau parce que son poil est doux et ressemble à de la soie, ou qu’il est marqueté de taches d’une vive couleur ; que tel animal marche, crie, mange, boit, de telle ou telle façon ; qu’il est de telle façon étant petit, et autrement quand il a grandi ; qu’une chenille devient chrysalide, et puis papillon sur l’arbre ou la plante dont les feuilles l’ont nourrie ; que ce papillon a les ailes vite poussées, et que la femelle, plus grosse que le mâle, pond bientôt des œufs d’où sortiront autant de petites chenilles ; que toute plante a des racines, une tige, des feuilles, des fleurs, des fruits, et que les feuilles, les fleurs et les fruits de telle plante sont de telle manière ; que la fumée et les vapeurs sont de l’eau qui se réunit dans les nuages et tombe en gouttes sur la terre ; que la terre est ramollie par la pluie, et que les plantes poussent mieux quand il a plu, pourvu qu’il y ait beaucoup de soleil, car elles dorment la nuit, et beaucoup d’air, parce que si elles sont enfermées et sans air elles meurent ; enfin toutes choses