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surprise d’enfant lorsque, veillant pour la première fois un soir, je levai par pur hasard les yeux en haut et aperçus le ciel étincelant d’étoiles : c’est une des choses qui m’ont le plus frappé dans ma vie[1]. En somme la terre et surtout le ciel réservent sans cesse aux hommes des impressions nouvelles, capables de raviver les imaginations les plus pauvres et d’exciter tous les sentiments de l’âme humaine : crainte, respect, reconnaissance. Avec ces trois éléments, nous pouvons facilement composer le sentiment religieux. — Mais, objectera M. Max Müller, pour donner un objet au sentiment religieux, il faut ridée du surnaturel ; d’où tenez-vous cette idée ? — Nous répondrons qu’encore une fois la notion la plus primitive est bien plutôt celle du surnaturel que du naturel[2]. Un phénomène naturel ! voilà une idée presque moderne ; cela veut dire un phénomène tombant sous des lois fixes, enserré dans un ensemble d’autres phénomènes, formant avec eux un tout régulier ; quelle conception complexe et au-dessus de la portée d’une intelligence primitive ! Ce que nous appelons un miracle est une chose toute naturelle pour un sauvage, il en observe à tous moments. Cela ne le choque pas plus qu’un vrai philosophe n’est choqué d’un paradoxe ; il ne connaît pas assez les lois de la nature, il ne les sait pas assez universelles, pour refuser d’admettre une dérogation à ces lois. Le miracle est simplement pour lui le signe d’une puissance comme la sienne, mais agissant par des voies à lui inconnues et produisant des effets

  1. 1. Rappelons à ce propos que, d’après Wuttke, J.-G. Müller et Schultze. le culte de la lune et des astres nocturnes aurait précédé celui du soleil, contrairement aux opinions admises jusqu’ici. Les phases de la lune étaient très-propres à frapper les peuples primitifs, et elles durent éveiller de très-bonne heure leur attention. Toutefois il faut se garder en ces questions de généraliser trop vite et de croire que l’évolution de la pensée humaine a suivi partout la même voie. Les milieux sont trop différents pour n’avoir pas dès l’origine varié à l’infini les conceptions religieuses. En Afrique, par exemple, il est évident à priori que le soleil ne possède pas tous les caractères d’une divinité ; il ne se fait jamais désirer ni regretter, comme dans les pays du Nord ; il est plutôt malfaisant que bienfaisant ; aussi les Africains adoreront-ils de préférence la lune et les astres nocturnes dont la douce lumière éclaire sans brûler, rafraîchit, délasse du jour. La lune sera considérée par eux comme un être mâle et tout-puissant, dont le soleil est la femelle. C’est surtout lorsque morte à son dernier quartier et disparue de l’horizon, la lune y remonte soudain pour recommencer ses phases, qu’elle sera saluée et fêtée par des cris et des danses. Les noirs du Congo verront même en elle un symbole de l’immortalité (M. Girard de Rialle, Mythologie comparée, p. 148). Au contraire, l’Amérique a été le centre du culte du soleil. En général, il semble que l’agriculture ait dû amener le triomphe de ce dernier culte sur celui de la lune ; car le laboureur a plus besoin du soleil que le chasseur ou le guerrier. Selon M. J.-G. Müller, les races sauvages et guerrières ont de préférence adoré la lune.
  2. Ici nous nous retrouvons d’accord avec M. Spencer contre M. Max Müller.