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ANALYSESlastarria. — Leçons de politique positive.

possible, et que la liberté externe ou pratique de chacun (laquelle correspond à ce genre de relations) coïncide inévitablement avec celle de tous. Partant de là, il n’admet point qu’on dise avec Kant que le droit est l’ensemble des conditions suivant lesquelles la liberté de chacun peut coexister avec la liberté de tous, ce qui laisserait supposer, dit-il, que cette coexistence peut ne pas avoir lieu. Il ne veut donc pas que le droit soit un moyen de concilier des libertés, et il critique les constitutions dont l’objet est de poursuivre cet équilibre chimérique.

Laissant de côté ce qu’il y a d’équivoque et de favorable au socialisme (dont M. Lastarria parait cependant loin d’être l’ami) dans ce principe que l’homme peut exiger qu’on lui fournisse tous les moyens indispensables à l’intensité de sa vie, nous nous demandons si la liberté de chacun, à moins de lui attribuer un caractère purement négatif, se concilie inévitablement avec celle des autres. Que personne n’agisse, tous seront libres en ce sens que personne ne sera violenté, et il n’y aura nul conflit possible entre toutes ces indépendances négatives. Mais si c’est pour tous un besoin d’agir, et un besoin vital, comment méconnaître que l’activité des uns courra sans cesse le risque de se heurter à celle des autres ? Supposé par exemple que nous usions de la parole pour attaquer publiquement les autres dans leur honneur, est-ce que cet usage de noire liberté ne tend pas, en les déconsidérant, à restreindre notablement leur champ d’action, c’est-à-dire le domaine de leur liberté ?

Passons, malgré leur intérêt, les chapitres consacrés aux rapports de l’État avec les sciences, les beaux-arts, l’industrie et le commerce ; l’esprit général en est le même ; c’est l’esprit du libéralisme américain. Passons également l’examen critique des circonstances accidentelles qui affectent l’organisation et le développement de la société (telles sont par exemple les aristocraties artificielles dont M. Lastarria relève les vices avec beaucoup de force), et venons-en à la théorie politique.

Nous y trouvons dès le début cette déclaration importante que la constitution doit sanctionner sans réserve les droits individuels et sociaux, que les législateurs modernes confondent à tort avec les droits politiques, en mettant par exemple l’éligibilité à tous les emplois, le droit de pétition et les autres droits politiques de ce genre à côté de la liberté de réunion ou de la liberté d’exprimer sa pensée, droits primitifs, droits individuels et sociaux. Il s’ensuit que la fonction essentielle de l’Etat est de faire respecter absolument ces droits primitifs, sans avoir à en poursuivre la prétendue conciliation par un système artificiel qu’il créerait à sa guise. Aussi, à mesure que les sociétés progressent, le gouvernement cesse d’avoir une autorité directrice ; ses attributions directoriales se trouvent limitées, d’une part à la surveillance des relations internationales, de l’autre à certaines sphères telles que l’instruction et la bienfaisance publiques, qui, à la vérité, concernent en propre chaque nation, mais où l’activité de la société ne s’est pas encore suffisamment développée.