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ANALYSESRousseau jugé par les Genevois d’aujourd’hui.

Il y a deux manières de comprendre la science politique. Selon les uns, les faits d’ordre social sont aussi naturels et primitifs que les autres faits humains, aussi nécessaires à l’individu et à l’espèce : la première chose, c’est donc de les accepter comme point de départ, afin de les améliorer conformément aux règles de l’observation et de l’expérience. C’est là une conception tout empirique et « juridique », dit M. Hornung ; c’est « celle de Montesquieu, de Voltaire, et en général de la pensée française au xviiie siècle. » À la différence de Rousseau, a Voltaire accepte en plein la civilisation et l’État ; il veut la culture d’ans ce qu’elle a de plus brillant, la science, l’art, le théâtre ; il est éminemment sociable et ne s’isole point de son siècle. » Comme conséquence cet esprit juridique, indifférent aux prétendus axiomes des systèmes philosophiques, moraux ou religieux, engendre un droit humanitaire, « cosmopolite et neutre, un droit profondément individualiste, qui garantit le particulier, mais qui admet l’effacement des nationalités. » Voyez la Rome impériale à l’époque des grands jurisconsultes le royaume-uni de Grande-Bretagne depuis la chute des Stuarts, enfin les Etats-Unis d’Amérique.

La seconde conception est celle de Rousseau, qui se trouva pour cette raison en désaccord avec tout son siècle. Elle regarde la politique comme le développement logique d’une idée ou d’un idéal, emprunté aux révélations théologiques ou aux spéculations métaphysiques. Son propre est de « considérer en toute chose le sujet, la personne la moralité intime, de se demander non pas tant quel est le résultât mais comment il est obtenu. En particulier, cette doctrine, dans les questions sociales, considère surtout la personne collective, la nation dans son autonomie et sa souveraineté. Elle va jusqu’aux racines des choses et veut tout reconstruire à partir des fondations. Elle veut former des hommes et des peuples ; tout se résume pour elle dans l’éducation. Tandis que la première conception était juridique, économique, sociale, celle-ci est essentiellement politique et morale. Elle se fait un idéal austère, elle met l’accent sur la vertu, la force morale ; elle se défie de la civilisation et de la science ; elle entend que les individus et les peuples restent tout près d’eux-mêmes et ne se dispersent pas au dehors. » Au fond de cette doctrine se cache la confusion de l’ordre moral ou religieux selon le cas, et de l’ordre social : la subordination de l’État à l’Église ou de l’Église à l’État est le rêve de ces théocrates ou de ces démocrates. Quant aux transactions indiquées par les besoins du temps, ces esprits absolus ne sauraient les admettre.

À tous les degrés, Rousseau fait de la politique métaphysique, aussi bien dans son Discours sur l’inégalité que dans le Contrat social. Bien que lui-même, selon son aveu, n’ait « jamais été vraiment propre à la société civile, où tout est gêne, obligation, devoir », à travers les contradictions de ses ouvrages, le « citoyen de Genève », lecteur assidu de Plutarque, laissa voir l’empreinte de la discipline calviniste. Il « rêve un idéal à la spartiate… De là vient ce qu’il y a raide, d’abstrait, de