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notre connaissance, au sujet des jugements de cause et d’effet : et j’exposerai longuement, un jour, le résultat de mes recherches[1]. »

Quelque part qu’il convienne de faire à Hume dans ces préoccupations métaphysiques de Kant, il nous parait bien résulter de ce qui précède que l’influence de Newton n’y a pas été étrangère. C’est en réfléchissant sur le concept des grandeurs négatives que Kant a compris le sens et la portée, méconnus par l’école de Leibniz, des oppositions réelles —, c’est en analysant la différence d’une opposition réelle et d’une opposition logique, qu’il a été amené à comprendre la différence d’une raison logique et d’une raison réelle (Idealgrund, Realgrund), et à démêler l’erreur qui les faisait dépendre l’une comme l’autre du principe d’identité. Kant avait appris, à l’école de la physique newtonienne, que la recherche des causes, ou l’expérience, n’a rien de commun avec la déduction logique. Il avait pris une claire conscience de la nature propre de la connaissance scientifique : il lui restait à en découvrir le principe métaphysique.

En même temps qu’il renouvelait la cosmologie de l’école leibnizo-wolflenne, à l’aide des idées de Newton sur la matière, sur l’antagonisme des forces, sur la causalité réelle des grandeurs négatives, Kant était préoccupé de montrer que les conceptions mécaniques de Newton ne sont pas faites pour alarmer la conscience religieuse ; et que la physique exacte et la théologie, loin de s’opposer, se prêtent un mutuel appui. Les physico-théologiens du temps abusaient volontiers de la preuve des causes Anales pour démontrer l’existence de Dieu ; et toute philosophie qui diminuait la part de la finalité dans la nature leur était aisément suspecte, comme réduisant l’action divine au profit de la matière. Il semblait à ces théologiens superficiels que les découvertes de Newton et, par suite, de la physique mécanique, profitassent à la cause de l’irréligion et du matérialisme. Kant, qui avait soutenu et hardiment développé les idées de Newton dans sa Théorie générale du ciel, se sentait directement atteint par ces critiques, sincères ou feintes, de la physico-théologie. Il les avait, sans doute, prévenues et écartées déjà dans cet ouvrage : mais le livre, publié tardivement et sans nom d’auteur, n’avait pas produit tout l’effet que Kant en espérait. Lambert, au témoignage de Kant, ne le connaissait pas, lorsqu’il publia en 1761 ses Lettres cosmologiques, dont le sujet, les idées, la méthode offrent tant de traits communs avec l’Histoire du ciel. Aussi Kant n’hésite pas, dans L’unique fondement possible pour une démonstration de l’existence

  1. Kunt’s Werke, t. II, p. 104 et 105.