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conscrite et spéciale. M. Maillet, dès le début de son livre, a quelque peine à établir ce qu’on pourrait appeler leur état civil. Il fait remarquer que certains psychologues les rattachent à la sensibilité, d’autres à l’activité, quelques-uns même, comme les cartésiens, à l’intelligence. Pour remédier à ces indécisions, M. Maillet cherche la caractéristique vraie de la passion, et il croit la trouver surtout dans un déploiement d’activité et d’activité désordonnée. La passion est pour lui ce qu’elle était pour les anciens, un trouble de l’âme, perturbatio animi, une tempête de l’esprit : et la théorie des passions se rattache, non à la psychologie normale, mais à la psychologie morbide, pathologique.

La définition exacte de la passion et de la place qu’elle occupe parmi les autres désordres de l’esprit oblige M. Maillet à exposer ses idées sur la nature de l’âme considérée dans l’unité de son essence et la multiplicité de ses éléments. Après avoir tour à tour repoussé les trois hypothèses de l’animisme, de l’organicisme et du duodynamisme, il se prononce pour une conception intermédiaire, dont il recueille les germes dans la monadologie de Leibniz, et aussi dans les théories modernes de l’association. L’âme est une force supérieure qui domine un ensemble de forces subordonnées, d’énergies vitales ; celles-ci dominent à leur tour les forces inférieures, les forces physico-chimiques. « Dans l’âme coexistent des formes, enveloppées, pour ainsi dire, les unes dans les autres, et dont chacune est une idée impérative, sous la domination de laquelle viennent se ranger, comme autant d’éléments, les formes antérieurement réalisées dans la nature. » (P. 22.) Or, les forces inférieures, quoique subordonnées et entraînées dans le concert harmonieux auquel l’âme préside, ne perdent pas pour cela leur activité propre ; elles ne sont pas « comme des pierres dans les édifices qu’élève la main des hommes : elles aspirent à se dégager, à s’émanciper, à secouer le joug de l’idée directrice, et, quand elles y réussissent, c’est la passion qui éclate, la passion et les autres troubles de l’âme, la maladie et la folie. »

Qu’un fait physique, comme la maladie, soit une perturbation de l’âme, le résultat de l’affaiblissement qui se serait « produit dans l’action idéale et régulatrice de l’âme, » c’est ce que peu de gens accorderont. La métaphysique de la maladie, telle que l’esquisse M. Maillet (p. 39-49), semble avoir quelque droit à rejoindre les chimères de l’idéalisme. Ce qui sera contesté aussi, c’est que la folie soit un trouble purement intellectuel et indépendant de l’organisme. Cela dit, il faut reconnaître ce qu’il y a d’ingénieux dans la distribution symétrique que M. Maillet propose pour les trois perturbations de l’âme : la passion est présentée comme un désordre intermédiaire entre la maladie et la folie, un désordre à la fois conscient et organique, et un désordre relatif, à la différence delà maladie, qui est un trouble passager de l’organisme inconscient, et de la folie, qui est un trouble presque absolu de l’âme consciente. La passion, comme la maladie, comme la folie, est un fait où se manifestent des énergies latentes, des forces ordinairement comprimées et dociles, mais qui, à certains moments, libérées et révoltées, viennent rompre