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logistes ont été conduits à reconnaître que les lois physico-chimiques, dans leur expression admise, s’observent pleinement même chez les êtres vivants, sans s’y heurter à rien d’étranger, — force est bien de distinguer deux classes irréductibles de phénomènes et de trouver, en dehors du domaine constaté des lois physico-chimiques, une place, aussi petite qu’on voudra, qu’elles ne remplissent pas, où la vie puisse tout au moins intervenir. Donc, pour quiconque accepte les principes de la mécanique et rejette les forces vitales de la vieille physiologie, le champ d’action de la vie se trouve forcément aux points de bifurcation qui se présentent quand il y a indétermination mathématique de voies, seule place restée disponible en dehors du domaine incontesté des puissances de la matière brute. Et c’est une bonne fortune, pour le géomètre, que tous les cas d’indétermination mécanique accessibles jusqu’à présent à son analyse correspondent à des états éminemment instables de la matière ; car une instabilité physico-chimique extrême, inimitable, est précisément ce qui, aux yeux du chimiste et du physiologiste, caractérise le mieux les tissus vivants.

Jusque-là, rien d’arbitraire dans mes déductions. Pour aller plus loin, il faut choisir entre deux suppositions possibles. La plus simple consiste à faire de l’étroit champ d’action où la vie intervient un domaine exclusivement propre à ce principe directeur, un domaine où les énergies de la matière brute n’aient pas accès. Telle est l’hypothèse dont j’ai cru, toute hardie qu’elle soit, pouvoir développer les conséquences (p. 112 à 122), à cause des horizons absolument nouveaux qu’elle ouvre et qui ne manquent ni de grandeur, ni de beauté : mais je l’ai fait sans m’y abandonner autant que le dit M. Bertrand, puisque j’ai consacré le no 25 de mon étude (p. 130 et 131) à exposer la seconde supposition possible, dans laquelle les points de bifurcation sont considérés au contraire comme un terrain mixte, où les puissances physico-chimiques et la vie prennent à tour de rôle, suivant les cas, la direction du mouvement.

Il suffit d’adopter cette seconde opinion pour faire disparaître deux conséquences de la première qui ont alarmé le spiritualisme de M. Bertrand, et qui consistent, l’une, en ce que la vie devrait surgir nécessairement dès que se réaliseraient les conditions physico-chimiques très-spéciales amenant des bifurcations de voies, l’autre, en ce que, par suite, la génération spontanée ne serait impossible que d’une impossibilité physique, non d’une impossibilité métaphysique ou absolue. Aux yeux de M. Bertrand, qui dénonce hautement (p. 522 et 523) d’aussi dangereuses conséquences d’une hypothèse par trop téméraire, ce n’est pas assez de maintenir la distinction