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clame que si Satan en personne revêtait forme humaine, il adopterait sans changement la philosophie du savant berlinois. M. Stöckl, qui s’y connaît, déclare qu’un pareil système ne peut être sorti que de l’enfer. Les autres théologiens ne varient guère ce thème ingénieux.

Mais n’oublions pas qu’il s’agit ici de morale ; voyons ce que les adversaires de Hartmann pensent des conséquences pratiques de ses doctrines. Ils nous les dépeignent avec des couleurs terribles. Lors de l’explosion de Bremerhafen, où plusieurs centaines de personnes perdirent la vie, un versificateur, G. N. de Gerbel, n’hésita pas à écrire « que l’auteur criminel de cette catastrophe n’avait fait que se conformer en pessimiste pratique aux enseignements de la philosophie de l’inconscient. » Un journaliste s’écrie : « Le jeune lithographe D…, qui s’est fait sauter la cervelle, le malfaiteur nihiliste B… sont les victimes de Hartmann, les victimes de sa logique fallacieuse, de ses déductions téméraires. Et ce ne sont là encore que quelques victimes dont les noms parviennent par hasard à la connaissance du public ! M. de Hartmann sait-il combien d’existences brisées, combien d’esprits entravés dans leur essor, combien de suicides, combien d’âmes rongées lentement et sûrement par le chancre de ses doctrines, il a sur la conscience ! »

La perle de la collection est fournie (on regrette de le dire) par un philosophe que ses disgrâces ont presque rendu intéressant, mais qui ne devrait pas oublier que rien, pas même la cécité et la persécution, n’excuse la platitude d’un réalisme communiste, ni le cynisme des invectives. Il s’agit, on l’a deviné, du docteur Dühring. « Les couches pourries de la haute société, dit-il, se sont réfugiées, avec leur séquelle de corruption littéraire, sous l’égide de Schopenhauer, pour y abriter un peu convenablement leur inanité et leur dépravation. Mais l’ex-privat docent de Berlin, le solitaire de Francfort-sur-Mein, était encore trop bon pour ces cercles dégradés. Cette triste variété demande des produits apparentés ; elle ne se plaît que là où la légèreté la plus frivole lui est servie en compagnie de la souveraine impertinence, et, avant tout, avec une bonne dose de piment mystique et érotique. Du sein d’une telle société surgirent, pour ne citer que deux cas berlinois, le peintre von Zastrow, ce giton sanguinaire (le lecteur français veut être respecté), et le philosophâtre à réclame Ed. de Hartmann, dont chacun a su, à sa façon, attirer l’attention du public. Le premier a livré les faits, le second en a fourni l’intelligence intime avec une Philosophie de l’inconscient. Ces phénomènes appartiennent à la pathologie de la société et dépassent de beaucoup ce qu’on pourrait appeler ses maladies honteuses. »