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concurrent qu’aujourd’hui dans l’amour proprement dit : le rôle subordonné de la femme dans la société, l’infériorité de sa culture intellectuelle ne lui permettaient guère de disputer à l’homme l’empire d’une âme bien née. Aujourd’hui que les sexes jouissent de droits presque égaux, il est permis de se demander si l’idéal de l’affection a plus de chances de se réaliser entre personnes du même sexe ou de sexe différent. La réponse n’est pas douteuse, si l’on tient compte de toutes les conditions dont une harmonie parfaite exige la réunion. La communauté des biens et des intérêts matériels ne peut guère exister qu’entre époux ; ce ciment puissant, les enfants communs, manque à l’amitié ; enfin toutes ces oppositions de goût, d’intelligence, de sentiment, de volonté, qui s’attirent, comme des pôles de nom contraire, parce qu’elles se complètent, où les trouver ailleurs que dans la combinaison des deux sexes ? Les âmes féminines sont aussi rares parmi les hommes que les viriles parmi les femmes.

Dans le monde moderne, la rivalité de l’amitié et de l’amour doit faire place à leur union. L’amitié ne peut guère subsister entre personnes de sexe différent sans qu’un grain d’amour s’y mêle ; l’amour sans l’amitié, c’est-à-dire sans l’estime et la confiance, n’a pas plus de douceur que de dignité. La fusion de ces deux sentiments dans le mariage constitue la forme la plus parfaite et la plus élevée de l’affection. Qu’on ne prétende pas que la femme est incapable d’amitié ! si l’amitié entre deux femmes est rare, c’est qu’elle exigerait que l’une d’elles eût assez d’indépendance et de fermeté de caractère pour jouer, en quelque sorte, le rôle viril dans ce commerce ; dans le mariage, la femme trouve précisément sa direction, son soutien naturel : il n’est pas besoin qu’elle démente son naturel spontané et tout instinctif.

Les développements précédents corrigent ce que la théorie de l’amour exposée par Schopenhauer dans le Welt als Wille et adoptée par Hartmann dans la Philosophie de l’inconscient avait d’étroit, de brutal et de repoussant. Hartmann comprend à présent l’évolution que le sentiment de l’amour a déjà accomplie et celle que lui réserve sans doute l’avenir. Mais, quelque paradoxale que puisse paraître une telle assertion, nous ne croyons pas qu’une doctrine panthéiste quelconque soit en état de donner une théorie vraiment satisfaisante de l’amour, précisément parce qu’elle l’explique trop bien. L’amour, l’amitié, la philanthropie perdent leur valeur morale s’ils reposent sur un fait réel, l’identité d’essence des deux agents ; ils s’imposent alors comme un théorème de géométrie à la raison, et non au sentiment. L’union des âmes n’est belle, n’est méritoire que si elle est