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séailles. — la science et la beauté.

ce qu’il est, ce qu’il fait, quelles forces il met enjeu, comment elles agissent, ce que tout homme en possède, par quelle concentration elles s’exagèrent chez quelques êtres privilégiés, en donnant naissance à ces œuvres surprenantes, où se révèle une humanité grandie dans toutes ses puissances. Si l’artiste fait ce que tous voudraient faire, si son œuvre répond aux besoins de tous les esprits, dans l’analyse du génie, vous aurez découvert le principe de la sympathie qu’il nous inspire, de la joie que nous éprouvons à contempler ses ouvrages, à nous regarder en lui, à nous y voir supérieurs à nous-mêmes. Dès lors la beauté ne sera plus pour vous le mystérieux, l’incompréhensible ; vous l’aurez surprise à sa source même, et, sans avoir la tentation de restreindre la liberté du génie, peut-être aurez-vous découvert les caractères de toute beauté dans les lois mêmes de l’activité humaine qui en est la créatrice.

Peut-être aussi, ayant reconnu que la beauté est l’esprit même manifesté dans ses lois vivantes, peut-être serez-vous tenté de vous demander si tout est faux dans les rêves des platoniciens ? La science prend pour objet la beauté dans la nature et dans l’art ; elle analyse, elle décompose, elle énumère les éléments ; elle cherche leurs rapports, les lois de leur union ; elle compare ces lois aux lois de la pensée ; son œuvre faite, elle n’a expliqué de la beauté que ce qu’elle explique de la vie par l’étude de la mort : quelque chose toujours lui échappe, ce que l’analyse détruit, ce qui est tout, la vie même, l’âme présente à tous les éléments, principe de leur unité et de leur harmonie. La beauté, c’est l’esprit ; qu’est-ce donc que l’esprit ? S’il est dieu n’est-elle pas divine ? Ici, l’hypothèse succède à la science, la foi de la raison en elle-même à la certitude passive de l’expérience qui s’impose. Dans la réalité, l’esprit se cherche et se retrouve ; la diversité infinie des phénomènes l’épouvante, l’unité des principes universels le rassure ; dans son effort pour accorder ses lois avec les lois des choses, il n’est pas vaincu ; de plus en plus, sa science, en réfléchissant la nature, exprimée l’intelligence, et, quand il ramasse les fragments de cette science inachevée, il croit entrevoir le concert de toutes les vérités partielles dans un système grandiose, œuvre d’une pensée comme lui éprise d’harmonie ; souvent aussi, soit par un accident heureux, soit par une intention bienveillante, soit par une victoire partielle qui encourage l’espérance, l’esprit surprend tout un fragment des choses qui semble avoir été composé pour qu’il en jouisse, et dans cette création de la beauté par la nature il peut soupçonner l’effort et le triomphe d’une force qui travaille avec lui ; comme la science est toujours inachevée, comme toujours la réalité lui oppose des obstacles qui l’arrêtent, des contra-