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et les phénomènes intellectuels. Si de ce que la pensée n’est pas un phénomène simple on concluait que son étude directe est impossible, on pourrait par le même raisonnement supprimer la physique. De plus en plus, on reconnaît que toutes les forces physiques, lumière, chaleur, électricité, ne sont que des complications du mouvement ; de plus en plus, on tente de ramener les lois de ces forces à des cas particuliers des théorèmes généraux de la mécanique. Que penserait-on d’un mathématicien qui proscrirait l’étude directe des phénomènes physiques, nierait la détermination possible de leurs lois régulières, et, sous ce prétexte que les phénomènes complexes ne sont explicables scientifiquement que par les propriétés de leurs éléments, supprimerait la physique ? En admettant que tout ce qui est, la vie et la pensée comme la chaleur et la lumière, puisse se réduire à des mouvements élémentaires, et que les lois de ces éléments simples soient la raison des lois des phénomènes qu’ils composent, toujours est-il que dans ces phénomènes complexes se retrouvent des lois invariables qu’il est possible de déterminer directement. Dès lors, au lieu d’appliquer à l’étude de la pensée une méthode qui ne peut rien nous apprendre sur elle, ne serait-il pas plus scientifique de la considérer comme un phénomène naturel lié à des mouvements du système nerveux, auxquels il reste irréductible pour nous, et de chercher ses lois par la conscience et la réflexion, c’est-à-dire par la seule méthode qui permette de les connaître ?

La théorie de l’auteur n’implique-t-elle pas une méthode, qu’il suffirait d’en dégager ? L’idée maîtresse et la conclusion du livre c’est qu’il y a œuvre d’art toutes les fois qu’une personnalité puissante et fortement émue s’abandonne à son émotion et la rend contagieuse en la manifestant par des signes expressifs ; c’est qu’il n’y a pas de beauté typique, absolue, au sens platonicien ; c’est que la peinture flamande est aussi légitime que la sculpture grecque ; c’est que « Courbet est artiste au même titre que Raphaël. » Le beau, c’est l’homme même, nous en sommes convaincus. C’est par l’homme, c’est pour l’homme qu’est créée la beauté ; elle ne lui est donc pas étrangère ; s’il l’aime, c’est parce qu’il s’y reconnaît, c’est parce qu’elle est lui, c’est parce qu’il est elle, et que l’amour naît spontanément de cette joie de se retrouver en elle. S’il en est ainsi, pour expliquer la jouissance esthétique dans ce qu’elle a de distinctif, pour déterminer avec précision les caractères de la beauté, en un mot pour grouper et coordonner les phénomènes qu’étudie la science du beau, c’est le génie qu’il faut étudier dans les facultés qui le constituent. Le génie, créateur de la beauté, est humain ; il atteste chez l’artiste « une différence de degré, non de nature. » Cherchez donc