Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/621

Cette page n’a pas encore été corrigée
615
séailles. — la science et la beauté.

l’imitation qui nous plaît ? Avouons alors que la peinture cessera d’exister le jour où l’on aura découvert le moyen de rendre les couleurs par la photographie ? « A vrai dire, le degré de réalité que contient une œuvre d’art n’a d’importance esthétique que parce qu’il nous permet de mesurer la puissance de pénétration qui a été nécessaire pour la saisir et la force d’imagination qui a permis de la reproduire avec ce relief que nous admirons. » Ce qui nous plaît et nous attire dans les caractères monstrueux, c’est le génie qui les crée, qui les anime d’une vie si intense qu’auprès deux la réalité pâlit ; c’est la pénétration qui des détails insignifiants dégage les traits expressifs, les mots qui trahissent, les actes qui révèlent ; c’est la force d’émotion, c’est la puissance de volonté, qui unit les traits choisis, les coordonne, les condense et en construit un être unique, où tout est réel, caractéristique et vivant. Plus la personnalité de l’artiste est imposante, plus l’œuvre est belle. « C’est la valeur de l’artiste qui fait la valeur de l’œuvre. La beauté de l’art est donc une création purement humaine, dont l’imitation peut être le moyen, comme dans la sculpture et la peinture, mais où elle peut aussi n’avoir rien à faire, comme dans la poésie et la musique. Cette beauté est d’un genre si particulier, qu’elle subsiste dans la laideur même, puisque l’exacte reproduction d^ne laide figure peut être une belle œuvre d’art, par l’ensemble des qualités que sa facture démontre en son auteur. » — « Toutes les fois qu’un artiste vivement frappé d’une impression quelconque, physique, morale ou intellectuelle, exprime cette impression par un procédé quelconque : poème, musique, statue, tableau, édifice, de manière à la faire passer dans l’âme du spectateur ou de l’auditeur, l’œuvre est belle, dans la mesure même de l’intelligence qu’elle suppose, de la profondeur de l’impression qu’elle exprime et de la puissance de contagion qui lui est communiquée. »

M. Véron complète sa pensée en distinguant un art décoratif et un art expressif. Le premier, dont le type est l’art grec, n’exclut pas le sentiment ; mais il cherche avant tout la beauté, la perfection de la forme, l’harmonie et la grâce des lignes, des couleurs, des images et des sons. L’art expressif par la forme veut traduire la vie morale, toutes les passions qui nous agitent, tous les drames qui naissent de ces passions, avec leurs violences, leurs crises et leurs dénouements. Cet art est « doublement expressif, puisque, en même temps que l’artiste exprime par la forme et par les sons les sentiments et les idées des personnages qu’il met en scène, il donne, par la puissance et par le caractère même de cette expression, la mesure de sa propre sensibilité, de sa propre imagination, de sa propre intelligence. »