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notion de vérité et de réalité. L’opinion prédestinée à réunir finalement tous les chercheurs est ce que nous appelons le vrai, et l’objet de cette opinion est le réel. C’est ainsi que j’expliquerais la réalité.

On peut objecter que cela est absolument contraire à la définition abstraite qui a été donnée de la réalité, puisqu’on fait ainsi dépendre les caractères du réel de ce qu’on en pense finalement. La réponse est d’abord que la réalité est indépendante, non pas de la pensée en général, mais seulement de ce que peut en penser un nombre limité d’hommes ; ensuite, bien que l’objet de l’opinion définitive dépende de ce qu’est cette opinion, cependant la nature de cette opinion ne dépend pas de ce que pense tel ou tel homme. L’aberration des hommes peut retarder indéfiniment la fixation d’une opinion ; on peut même concevoir que, grâce à elle, une proposition arbitraire soit universellement acceptée aussi longtemps que durera l’espèce humaine ; cependant cela même ne changerait point la notion de la croyance qui pourrait résulter seulement d’une investigation poussée assez loin. Si, après l’extinction de notre race, il en apparaissait une autre douée de facultés et de tendances investigatrices, l’opinion vraie serait précisément celle qu’elle atteindrait finalement. « La vérité abattue se relèverait, » et l’opinion définitive qui résulterait de l’investigation ne dépend pas de ce que peut actuellement penser un être quelconque. Mais la réalité du réel ne dépend pas de ce fait que l’investigation, poursuivie assez longtemps, doit enfin conduire à y croire.

On peut demander ce que j’ai à dire de tous les menus faits de l’histoire oubliés pour jamais, des livres antiques perdus, des secrets ensevelis dans l’oubli :

Bien des perles rayonnant du plus pur éclat
Reposent dans les abîmes sombres, inexplorés de l’Océan ;
Bien des fleurs naissent pour briller inaperçues
Et jeter leur arome au vent solitaire.

Tout cela n’existe-t-il point, pour être inévitablement hors de l’atteinte de notre science ? L’univers mort — suivant la prédiction de quelques savants aventureux — et toute vie ayant cessé pour toujours, le choc des atomes ne continuerait-il plus parce qu’il n’y aurait plus d’intelligence pour le connaître ? Bien que, quel que soit l’état de la science, aucun nombre ne puisse jamais être assez grand pour exprimer le rapport entre le total des faits connus et celui des faits inconnus, je crois cependant antiphilosophique de supposer que, étant donnée une grande question quelconque, offrant un sens clair, l’investigation n’en donnerait pas la solution si on la poussait assez avant. Qui eût dit, il y a quelques années, que nous saurions