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séailles. — la science et la beauté.

privilégiées ? On demandait à Newton comment il avait découvert la loi de la gravitation ; il répondit : « En y pensant toujours. » C’est la volonté qui fait les grands amours et qui les rend féconds. Que de sentiments passent aux limites de l’horizon visible, gardent le charme exquis des formes indécises, puis s’évanouissent. Pour qu’un sentiment devienne une œuvre vivante, il faut que l’âme s’en éprenne, qu’elle le fasse vivre et qu’elle en vive, qu’elle y concentre toutes ses puissances, qu’elle lui communique la vie, dont elle est le principe. Le génie, c’est l’émotion vivifiée par la volonté. Mais, dans une même circonstance, il y a autant de manières d’être émus qu’il y a d’hommes ; c’est donc l’âme de l’artiste qui devient visible quand son émotion s’exprime. « Chez les plus grands, il y a un tel amalgame de tous les éléments, une assimilation si complète de l’homme et de la chose, que le tout se fond en une impression unique qui est comme une intuition lumineuse de la personnalité même de l’artiste. Son œuvre, c’est lui-même élevé à sa plus haute expression. » Imaginez les mêmes scènes reproduites par Léonard de Vinci, Michel Ange ou Raphaël, les mêmes sujets traités par Racine ou Shakespeare, par Beethoven ou Rossini ; autant d’âmes d’un pur métal qui sous le choc des choses auront une résonance que vous ne sauriez confondre. Les médiocres copient, imitent, ressemblent aux autres, se ressemblent entre eux ; parfois ils font retenir leur nom ; les grands font retenir leur âme, qu’on ne saurait oublier.

C’est dans la nature du génie que M. Véron cherche la définition du style. Le style, un mot dont les platoniciens et les critiques à prétentions font un grand usage. Une œuvre manque de style, tout est dit. Buffon a écrit : « Le style, c’est l’homme. » Buffon a raison. Tous les grands artistes ont leur style, c’est-à-dire leur manière propre de penser, de sentir et d’exprimer : Rembrandt a autant de style que Raphaël. Le génie, c’est la personnalité ; or le génie est souverain, ce qu’il fait est bien fait, et il n’a pas de compte à rendre aux fabricants d’esthétique à l’usage des académies de peinture. M. Charles Blanc, historien et critique d’autorité, philosophe par occasion seulement, a écrit : « Il y a quelque chose de général et d’absolu qu’on appelle le style ; c’est l’empreinte de l’humanité sur la nature ; il est le contraire de la réalité pure : il est l’idéal. » Winckelmann a dit ce mot profond : « La beauté parfaite est comme « l’eau pure, qui n’a aucune saveur particulière. » Dieu nous garde de ces eaux sans saveur, fades jusqu’à la nausée. Nous connaissons, dit avec justesse M. Véron, le style de tel homme, de telle école, de tel siècle ; nous connaissons le style grec, arabe, égyptien, assyrien, mais, pour ce qui est du style en soi, du style impersonnel, qui ne change pas, nous ne l’avons jamais rencontré.