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observés, dont les divers mouvements ne pourraient être traduits en pensées et en sentiments, s’ils pouvaient être directement perçus ? N’est-ce pas par la réflexion sur lui-même ? N’est-ce pas là non-seulement de l’observation intérieure, mais encore une induction sur les lois de la vie mentale ? Qu’est-ce qui lui a appris que ce qui par-dessus tout nous plaît, c’est la vie, le mouvement, l’agitation d’une âme ? Qu’est-ce qui lui a dit qu’à la vue d’une grande œuvre s’éveille l’amour de son créateur ? N’est-ce pas par la conscience qu’il a découvert tout à coup en lui-même cette sympathie pour l’artiste qui l’avait enchanté ? Ainsi ce n’est pas à la méthode de l’auteur que sont dues les vérités qu’il découvre, et c’est à cette méthode qu’il faut attribuer le manque de Maison qui nous laisse en présence de faits vrais, bien observés, mais sans unité.

Le génie. — « Ce qui constitue proprement le génie artistique, c’est le besoin impérieux de manifester au dehors par des formes et des signes directement expressifs les émotions ressenties, et la faculté de trouver ces signes et ces formes par une sorte d’intuition immédiate, où la réflexion et le calcul n’interviennent que par addition ultérieure. » Le sentiment du musicien chante en lui ; c’est une mélodie encore vague qui frémit, un flot de notes qui monte en bouillonnant ou s’étend en une nappe tranquille et transparente ; le peintre voit sa pensée, c’est une forme dont les lignes s’indiquent et qui peu à peu s’anime et se colore, jusqu’à ce qu’elle sorte dans sa beauté vivante du nuage où elle s’enveloppait ; le poète dans son émotion pressent déjà le rythme des vers, dont la cadence suivra tous les mouvements intérieurs. Si l’émotion de l’homme de génie semble trouver dans le besoin même de s’exprimer les signes qui la manifestent, si elle se crée en naissant le corps qu’elle animera, c’est qu’elle est très-puissante, c’est qu’au lieu de se diviser, de s’analyser, de se construire de pièces et de morceaux, elle apparaît tout à coup dans sa violence souveraine : maîtresse despotique, elle contraint toutes les forces de l’esprit à travailler pour elle, elle puise dans l’imagination les éléments qui lui conviennent, elle les groupe, les coordonne et se fait un corps à son image. « L’artiste, que l’impression envahit et submerge pour ainsi dire d’un seul flot, ne voit, ne sent plus qu’elle ; non-seulement il n’en distingue pas les éléments divers, mais il ne s’en distingue pas lui-même. Elle n’est pas seulement en lui, elle est lui. C’est une véritable possession, contre laquelle il n’y a d’exorcisme efficace que par l’enfantement de l’œuvre d’art. » Est-ce à dire que l’artiste soit un inspiré, l’instrument passif d’une puissance supérieure, la victime d’une ivresse éphémère, l’écho d’une voix divine que lui seul entend aux heures