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séailles. — la science et la beauté.

et stérile. Imaginez le cauchemar d’un orchestre en mouvement, les archets courant sur les cordes, les lèvres collées aux instruments de cuivre, les mains qui s’agitent, les joues qui se gonflent, les poitrines qui s’essoufflent, et, sortant de tout ce bruit visible, un grand silence, que vous écoutez avec une colère désappointée. « S’il est vrai, dit M. Véron, que la valeur d’une œuvre se mesure à la variété et à l’intensité des impressions qu’elle produit, avec cette condition fondamentale et essentielle que ces impressions soient reliées et pour ainsi dire fondues en une harmonie suprême qui en constitue l’unité, on doit comprendre qu’une œuvre qui, à la satisfaction du sens esthétique, joint celle de l’intelligence, procure par là même une jouissance plus entière, plus vive et surtout plus profonde que celle auxquelles manque ce complément. »

La philosophie de l’auteur se borne à des notes prises sincèrement en face de la réalité. Il énumère les éléments du plaisir esthétique, et le compte nous en paraît exact ; mais ici encore il indique les faits à expliquer, il ne les explique pas, à moins qu’il ne prenne pour une explication la physiologie dérisoire qui se borne à constater que le système nerveux est nécessaire à l’émotion et à la connaissance. À dire les fibres nerveuses et leur excitabilité, où nous disons l’esprit, je ne vois pas ce qu’on gagne, je vois nettement ce qu’on perd. C’est le principe et le résumé de la science que dans la nature rien n’arrive au hasard. Les phénomènes qu’étudie la physique sont des phénomènes complexes ; nous en déterminons les lois sans en connaître encore les éléments. Les résultantes obéissent à des lois régulières aussi bien que les forces qui les composent. Pourquoi les phénomènes psychologiques feraient-ils exception à la règle universelle ? pourquoi n’y retrouverait-on pas en les observant des successions constantes, des lois fixes ? N’est-il pas possible d’établir un rapport entre la beauté et la nature morale de l’homme ? de découvrir, par l’étude de la sensibilité, des lois dont le plaisir esthétique ne soit qu’une application particulière ? Peut-être reconnaîtrait-on alors que les idées de l’auteur peuvent être coordonnées et ramenées à l’unité ?

Aussi bien nous sommes un peu surpris de voir M. Véron aussi sévère pour la méthode psychologique à laquelle il doit toutes les vérités qu’il établit. Comment a-t-il découvert que les vibrations en accord nous sont agréables ? N’est-ce pas par la conscience, par la jouissance qu’il éprouvait et qu’il connaissait en l’éprouvant ? Plus encore : comment sait-il que l’accord des idées, leur opposition, leur convenance, sont des conditions de la beauté ? Est-ce par une observation extérieure du cerveau, dont les mouvements ne sauraient être