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Depuis le temps de Descartes, l’imperfection de la notion de vérité a été moins apparente. Cependant les esprits scientifiques sont parfois frappés du fait que les philosophes ont moins travaillé à découvrir ce que sont les faits, qu’à chercher quelle croyance était mieux en harmonie avec leur système. Il est difficile de convaincre un adepte de la méthode à priori en produisant des faits. Mais montrez-lui que l’opinion qu’il soutient ne s’accorde pas avec ce qu’il a avancé autre part, et il se prêtera de bonne grâce à une rétractation. Les esprits de cette sorte ne semblent pas croire qu’une controverse doive jamais cesser. Ils semblent penser que l’opinion qui convient à une nature d’homme ne convient pas à une autre, et que par conséquent la croyance ne sera jamais fixée. En se contentant de fixer leurs opinions par une méthode qui peut conduire un autre homme à un résultat différent, ils trahissent la faiblesse de leur conception de la vérité.

Tous les adeptes de la science, au contraire, sont pleinement convaincus que les procédés de l’investigation, pourvu seulement qu’on la pousse assez loin, fourniront une solution certaine de toutes les questions auxquelles on les appliquera. Un savant peut chercher quelle est la vitesse de la lumière en étudiant les passages de Vénus et les aberrations des étoiles ; un autre, en observant les oppositions de Mars et les éclipses des satellites de Jupiter ; un troisième emploiera la méthode de Fizeau, un autre celle de Foucault ; un autre encore fera usage des mouvements des courbes de Lissajoux ; d’autres enfin suivront diverses méthodes pour comparer les mesures obtenues au moyen de l’électricité statique et de l’électricité dynamique. Ils pourront d’abord obtenir des résultats différents ; mais chacun d’eux perfectionnant sa méthode et ses procédés, les résultats convergeront constamment vers un point central prédestiné. Ainsi pour toutes les recherches scientifiques. Des esprits très-divers peuvent se lancer dans les recherches avec des vues tout opposées ; mais, à mesure qu’avance l’investigation, une force extérieure à eux-mêmes les entraîne vers une seule et même conclusion. Cette activité de la pensée qui nous emporte, non pas où nous voulons, mais à un but fixé d’avance, semble être l’effet d’un arrêt du destin. Modification des points de vue, choix d’autres faits comme sujets d’étude, inclination naturelle de l’esprit même, rien ne permet d’échapper à l’opinion fatale[1]. Cette grande loi est contenue dans la

  1. Par fatal, nous entendons simplement ce qui doit inévitablement arriver. C’est une superstition que de croire que certains évènements peuvent être fatals, et c’est une erreur de supposer que le mot fatal ne puisse jamais être exempt d’une teinte de superstition. Nous mourrons tous, cela est fatal.