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de déterminer mathématiquement la direction de toutes les lignes perpendiculaires au tableau et de produire ainsi sur une surface plane l’illusion de leur fuite dans l’espace. Par des raisonnements analogues, en s’appuyant sur la direction linéaire des rayons lumineux et sur ce fait que la grandeur apparente des objets diminuant comme la distance à la limite se réduit à un point, on construirait géométriquement toutes les lignes dans leurs rapports et on créerait l’apparence des dimensions de profondeur.

Les jeux de la lumière nous sont encore d’un grand secours pour discerner les formes et les distances. Les ombres accusent le modelé par leurs gradations insensibles et leurs transitions délicates, parfois, par leurs duretés et leurs brusqueries ; elles font tourner doucement les surfaces arrondies, saillir par leur contraste le relief des parties éclairées. Ici encore, la science vient en aide à l’artiste ; elle lui apprend à construire les ombres, à leur donner leur intensité relative, à les mettre en perspective ; mais elle l’instruit surtout en l’avertissant des phénomènes, qu’elle ne peut ramener à des lois fixes et qu’il ne peut rendre que par la délicatesse de ses sens et l’habileté de son exécution. L’ombre n’est jamais pure ; elle est plus ou moins pénétrée par la lumière diffuse, plus ou moins atténuée par les reflets des objets environnants, ajoutez qu’elle parait plus obscure par le contraste d’une clarté vive, et qu’elle s’affaiblit pour nous dans le voisinage des noirs. De l’importance des ombres résulte l’importance de l’éclairement choisi : c’est la direction de la lumière qui fait la puissance artistique des ombres. Faites venir de face une lumière brutale, le modelé disparaît ; qu’on ne dise pas que nous percevons les formes sous toutes les lumières dans la réalité ; nous savons déjà qu’on ne perçoit pas un tableau comme les choses qu’il représente. La lumière latérale semble la plus propre à produire un effet pittoresque, parce que, multipliant les ombres, les distribuant avec plus de variété, elle dit plus de choses et permet une traduction plus facilement intelligible des objets représentés. Ceci reste toujours vrai : dans le portrait, le visage ne doit pas être aplati sur la toile ; il faut qu’il s’en détache et qu’il en sorte, que ses divers plans s’indiquent, que les rides se creusent, que les saillies marquent leur relief. Un tableau d’histoire n’est pas une juxtaposition de personnages : c’est un tout que le clair obscur modèle dans son ensemble, de la clarté qui insiste sur la pensée principale jusqu’au silence de l’ombre qui laisse dans une sorte d’oubli les personnages secondaires. Le paysage n’est pas un étalage de couleurs ; il doit être modelé dans son ensemble et dans ses détails par les jeux de la lumière et de l’ombre. De là* la préférence des peintres pour les levers et les cou-