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LA SCIENCE ET LA BEAUTÉ



E. Véron, L’esthétique, Reinwald (Bibl. des sciences contemp.). — Brücke et Helmholtz, Principes scientifiques des beaux-arts. Germer Baillière (Biblioth. scientif. internationale).

Il semble que la beauté ne laisse pas parler d’elle de sang-froid ; les philosophes mêmes n’y résistent pas ; elle trouble leur cœur, obscurcit leur intelligence, affaiblit leur volonté : l’analyse devient hymne. Ils l’imaginent selon leurs désirs, ils la créent pour leur amour ; ils la font venir de très loin, de très haut ; ils lui cherchent une origine céleste ; ils la veulent fille de Dieu, et ils lui confient la mission de montrer dans une réalité visible les divins exemplaires des choses. Les éloges des philosophes sont toujours des théories : la capricieuse ne s’y laisse pas enfermer ; elle accepte tous les hommages, mais elle a de soudaines métamorphoses qui désespèrent ceux qui ne se contentent pas de l’adorer sans rien dire. Ce qu’on dit d’elle est vrai, mais on n’a jamais tout dit sur elle. Ouvrez les esthéticiens de l’Allemagne, si vous en avez le courage, vous trouverez tout un ordre de faits en accord avec les idées de chaque philosophe, vous en trouverez toujours un plus grand nombre pour les contredire. lis vous parlent de la beauté comme d’un ange consolateur, comme d’une fille du ciel, chargée de traduire en un langage sensible les idées éternelles ; malgré vous, vous entendez le gros rire d’une servante d’auberge, ou vous vous sentez gêné par le regard lourdement ironique d’un buveur de bière qui s’étale avec insolence sur la toile d’un grand peintre hollandais.

De plus en plus, on avoue la valeur relative de toute connaissance ; on critique l’intelligence, on marque ses limites ; on distingue ce qu’on sait de ce qu’on suppose, et l’on reconnaît les théories métaphysiques pour ce qu’elles sont, des hypothèses et des espérances. La beauté n’échappera pas à cette puissance de l’esprit qui, maître de lui-même, en résistant à ses propres tentations, apprend à échapper aux séductions des choses. La beauté existe ; nous pouvons l’observer froidement, si nous en avons la patience et le courage : l’heure en est venue.

D’abord la beauté n’est pas une idée pure ; elle ne s’adresse à