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analyses.spir. Denken und Wirklichkeit.

fondamentale des métaphysiciens, à savoir que l’absolu contient la raison suffisante du conditionnel, est tout à fait fausse. Ils concluent à la cause, à la condition ; mais ils ne sortent pas pour cela de l’expérience et ils ne peuvent jamais atteindre l’absolu ; ils n’obtiennent qu’un développement chimérique de l’expérience. La philosophie critique adopte la notion d’absolu, mais elle n’ignore pas que l’absolu ne ressemble à aucun objet empirique. Nous pouvons assurer cependant que l’absolu est un, par cela même que le monde où il intervient est multiple ; il est simple, pour la même raison, ou identique à lui-même.

Nous avons donc lieu de distinguer : 1° les objets empiriques donnés dans l’expérience, c’est-à-dire nos sensations avec leurs modifications et leurs lois : ce sont là véritablement les choses pour nous, parfaitement distinctes des idées que nous en avons, mais n’existant pas indépendamment de ces idées ; 2° ces idées elles-mêmes, c’est-à-dire la manière dont nous reconnaissons les sensations et leurs groupements fixes ; mais, à cette connaissance de prétendues choses dans l’espace, rien ne répond dans la réalité ; 3" enfin, la vraie chose par elle-même, le noumène, qui existe indépendamment de nous et sur laquelle s’appuie toute réalité donnée, mais dont rien ne nous est donné dans l’expérience. Il est de l’essence de cette chose de n’être pas connue, par opposition au phénomène, ainsi nommé, non pas, comme le prétendait naïvement Schopenhauer, parce que le noumène apparaît en lui, mais parce qu’il est de sa nature de se manifester lui-même à nous. L’absolu intervient dans la réalité, mais ne s’y montre pas. La chimie nous présente quelque chose d’analogue:les éléments constitutifs de certains corps perdent leurs qualités propres dans des combinaisons où il devient impossible de les reconnaître.

Quel que soit le mode d’explication, qu’il s’agisse de l’induction ou de la déduction, le procédé revient toujours à rattacher l’individuel, le particulier au général, l’es phénomènes à des lois. Il n’y a d’explication possible que pour le devenir; il n’y en a pas pour ce qui est absolument. Dans le devenir même, on ne pourra jamais rendre compte de la constitution primordiale des éléments, ni des lois générales, ni remonter au premier état qui a été le point de départ de tous les autres. Cependant l’esprit n’est pas satisfait tant qu’il n’a pas rencontré le premier changement, la cause première.

C’est là une antinomie réelle : les lois de ce qui devient révèlent l’existence de quelque chose qui ne se rencontre jamais dans les données de la perception, à savoir la liaison des phénomènes. La nature de ce lien sera éternellement inaccessible. Au fond, les lois mécaniques des corps, de même que les lois géométriques de l’espace, bien qu’elles doivent nous sembler nécessaires au point de vue empirique, ne sont pas les lois effectives et primordiales de la nature. Les corps ne sont en réaUlé qu’une espèce de représentation de nos sensations, et les lois de nos sensations sont les seules lois primordiales de la nature. L’uniformité dans la succession et la simultanéité de ces sen-