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néant, et qu’il raille[1]. Cette réfutation directe montre seulement qu’il n’y a pas de raisons pour attribuer comme fm à l’Un-Tout le bonheur négatif plutôt que le positif. A présent, une réfutation par l’absurde montrera laquelle de ces deux solutions il faut rejeter dans tous les cas.

La première hypothèse suppose, comme le dit très-bien Hartmann : 1° que l’être absolu avant l’origine du monde ait été foncièrement malheureux ; 2° que pour se débarrasser de sa souffrance infinie il se soit imposé une série finie de tourments qui constituent le processus de l’univers ; 3° que la fm de la moralité consiste dans l’anéantissement du monde, et par suite du Dieu qui s’y est incarné, par le concours des volontés humaines.

Si l’absolu souffrait avant de se faire monde, c’est qu’il existait à l’état non de puissance, mais d’acte, car une virtualité qui souffre ne représente rien. Sa souffrance n’était pas non plus une souffrance quelconque : elle consistait dans le sentiment de la non-satisfaction d’une volonté infinie ; mais une volonté sans contenu est une conception inintelligible : cette volonté avait donc un contenu qui n’était autre que l’existence du multiple ; et c’est pour contenter cette volonté (dont il avait parfaitement conscience), en un mot parce que cela lui a plu, que l’absolu a créé le monde. Si l’absolu avait conscience de sa souffrance quand il a créé le monde, il ne suffit pas, pour que le monde disparaisse, qu’il reprenne cette conscience : les choses seraient simplement ramenées au point d’où elles sont parties. Aussi n’est-il plus question dans la Phénoménologie de cette intelligence ou idée qui par une sorte de ruse faisait naître la conscience, impossible dans l’absolu, au sein des individus ; s’il suffisait d’avoir conscience du malheur de l’existence pour y mettre fin, l’absolu s’en serait bien chargé tout seul : ce n’était pas la bonne volonté qui lui manquait, c’était le pouvoir.

Ce pouvoir, d’après Hartmann, se réalisera dans l’humanité. À mesure que l’humanité avance dans la voie du progrès, elle concentre en elle-même une somme d’énergie de plus en plus grande ; quand la quantité d’énergie restée en dehors du genre humain sera comme nulle en comparaison de celle qu’il possède, celui-ci, pleinement convaincu de son irrémédiable infélicité, mettra fin d’un commun accord à son existence et à celle du monde.

La catastrophe finale rêvée par M. de Hartmann pourra servir un jour de thème à quelque poème émouvant dans le genre d’une fantaisie célèbre de lord Byron ; mais les cauchemars n’ont rien de

  1. Phénoménologie, p. 401.