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sens inverse, et, partant des principes ontologiques de Schopenhauer, cherchons à en déduire les conséquences pratiques.

Le substratum commun de tous les phénomènes, le seul être qui existe par lui-même, c’est la volonté, laquelle, en s’objectivant, a produit le monde. Inconsciente par essence, consciente par accident, c’est-à-dire dans l’individu, la volonté, lorsque l’intelligence l’éclairé complètement, reconnaît que le monde est une illusion (maya), la vie un long martyre. Alors de deux choses l’une : ou bien elle persiste dans son aveugle désir de vivre, ou bien elle s’efforce de l’extirper en elle et d’atteindre à la libération, c’est-à-dire à la négation absolue du vouloir vivre (die Verneimmg des Willens zum Leben). Au premier abord, le suicide semble le meilleur expédient pour conquérir d’un coup la liberté ; mais le suicide, loin de constituer une négation du vouloir vivre, en est, suivant Schopenhauer, la plus énergique affirmation ; et d’ailleurs qu’est-ce qui nous prouve que le suicide détruise même l’individu[1] ? En tout cas, le plus sûr est de ne pas courir le risque de se tromper : au suicide, qui ne détruit que le corps, le sage devra préférer l’ascétisme, qui éteint en nous l’attachement à la vie, et la chasteté absolue, qui empêche la souffrance de se perpétuer sur terre. Il acceptera avec reconnaissance toutes les épreuves et tous les outrages, parce qu’ils contribuent à le dégoûter de l’existence ; il courra même au-devant et s’imposera les macérations les plus dures ; il se mortifiera dans toute la force du terme. Les méchants s’imaginent à tort qu’ils nuisent à un homme en l’accablant de mauvais traitements : « Par rapport à celui qui en est l’objet, ces mauvais traitements sont physiquement un mal, mais métaphysiquement un bien et, au fond, un bienfait, puisqu’ils contribuent à l’amener au-devant de son véritable salut[2]. »

Nous laissons maintenant la parole à M. de Hartmann : « D’après ce développement logique, il est évident qu’on ne peut pas se soustraire à la nécessité de faire un dernier pas, d’ajouter à l’édifice le couronnement négligé par Schopenhauer. Cette dernière consé-

  1. Au fond de toute la morale ascétique de Schopenhauer, il y a une vague croyance à l’immortalité personnelle, dont on retrouve aussi la trace dans sa foi aux revenants. Voyez une lettre du peintre Lunteschutz, reproduite dans la traduction française de l’Essai sur le libre arbitre, p. 125, note : « Schopenhauer m’a raconté beaucoup d’histoires de revenants, dont il ne semblait pas mettre en doute l’authenticité, car il les racontait avec la plus grande émotion. » On retrouve chez Hartmann des superstitions analogues. Dans la Philosophie de l’inconscient, il est souvent question de la seconde vue ; dans la Phénoménologie, il s’occupe sérieusement de la possession démoniaque.
  2. Parerga, t. ii, § 172.